Communs négatifs et externalités négatives

Préambule

La fiche ici proposée repart d'une définition des communs négatifs proposée par Alexandre Monnin et Lionel Maurel dans le cadre d'un glossaire sur les politiques publics. Elle l'actualise à partir des dernières recherche menées sur cette notion.

Introduction

La notion de commun négatifs a été introduites pour la première fois par Marie Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen (2001)[1]. Elle désignait alors les déchets produits par les communautés humaines et biotiques et la capacité de ces dernières à les absorber. Pour les autrices, le capitalisme, en détruisant les communauté et en privatisant les activités de traitement des déchets, retire aux communautés leurs capacités ancestrales pour les déplacer vers des circuits économiques orientés par le profits.

Le militant et chercheur japonais Sabu Kohso (2021)[2] parle également de communs négatifs pour désigner les déchets radioactifs, dans le sillage de ses analyses au sujet de la catastrophe de Fukushima. Pris dans ce sens, ils désignent une réalité qui ne peut, précisément, être réabsorbée par les communautés elles-mêmes. Elle est marquée par une irréversibilité sur des échelles de temps qui dépassent la mesure humaine.

Les communs négatifs

Les communs négatifs au sens où nous l'entendons, désignent des « réalités », matérielles ou immatérielles, valuées négativement, tels que les déchets radioactifs, les centrales à charbon, les sols pollués ou encore certains héritages culturels (le droit d'un colonisateur, etc.). Par le mot « valuées » (Dewey, 2008)[3], on entend désigner les opération de valuation en jeu. Autrement dit, les pratiques par lesquelles une valeur est accordée ou reconnue à quelque chose.

Tout l'enjeu de ces communs négatifs étant d'en prendre soin collectivement (commoning) à défaut de pouvoir en faire table rase. Aussi s'agit-il d'un élargissement de la théorie classique des communs, notamment par rapport à l'approche positive des Commons Pool Resources proposée par Elinor Ostrom (1991)[4]. On peut qualifier celle-ci de « bucolique » car elle s'applique avant tout à des réalités valuées positivement, qu'il convient donc de préserver.

L'approche par les communs négatifs tourne autour de deux axes majeurs :

  1. le fait d'accorder une valeur négative à des réalités souvent jugées positives – les réserves d'énergie fossile, l'aviation, la voiture, etc. (ce que l'on pourrait qualifier de lutte pour la reconnaissance en considérant que tout commun est d'abord un incommun (de la Cadena, 2019 ; Blaser et de la Cadena, 2017)[5] chargé d'une conflictualité). Dans l'ouvrage Héritage et Fermeture (Bonnet et al., 2021)[6], une distinction a été proposée entre ruine ruinées et ruines ruineuses. Les ruines ruinées désignent les paysage typiques d'une esthétique de l'Anthropocène : sols pollués, rivières asséchés, infrastructures désaffectées, etc. Les ruines ruineuses, quant à elles, désignes les infrastructures et modèles en activités dont le fonctionnement-même compromet l'habitabilité du monde. Le numérique, à cet égard, est-il un vecteur d'utopie (Turner et al., 2013 ; Broca, 2013 ; Tréguer, 2019)[7], comme il le semblait au début des années 2000 (utopie de la participation, open access, logiciel libre, communs numériques de la connaissance, etc.) ou un commun négatif dont la trajectoire est fondamentalement insoutenable ? Il n'est pas aisé de répondre à cette question dont l'incertitude renvoient aux situations de controverses (voir la fiche concept "Les controverses sociotechniques").

  2. le fait de bâtir de nouvelles institutions susceptibles de permettre à des collectifs de se réapproprier démocratiquement des sujets qui leur échappaient jusqu'à présent, en particulier la coexistence avec les communs négatifs, plus ou moins mis à distance (on peut songer aux récentes mesures prises par des maires au sujet des pesticides mais aussi au demandes émergeantes concernant des zones de déconnexion s'agissant du numérique). Cette réappropriation par le détour de nouvelles institutions, pose de nombreuses questions : d'échelles, de compétences, de subsidiarité, de droit ascendant, etc.

Par ailleurs, les communs négatifs peuvent induire l'idée de communautés de non-usage, autrement dit, de collectifs cherchant à ne plus utiliser certaines entités autrefois qualifiées de ressources (à l'opposé, cette qualification constituait clairement une désinhibition facilitant et légitimant les démarches extractivistes).

On parle d'externalités négatives, cette fois, pour désigner les effets ou dommage d'une transaction affectant un tiers qui n'est pas impliqué dans ladite transaction. Les économistes proposent d'internaliser ces externalités dans les marchés pour leur assigner un prix afin d'en limiter la survenue. D'autres proposent au contraire de mesurer le coût social et économique de la reconnaissance du dommages que représentent ces externalités et de les mettre en balance avec coût des réparations qu'elle induisent (si fermer une usine est le prix à payer, il vaut parfois mieux, selon ce raisonnement, tolérer un dommage sanitaire ou environnemental, voire, il appartient aux personnes affectées d'acheter leur droit à ne pas le subir (Chamayou, 2018)[8]).

Les externalités sont vues comme des conséquences malheureuses d'activités qu'il ne s'agit pas de remettre en cause. On cherche plutôt à en limiter les dommages par des mécanismes économiques ou par des innovations techniques et des procédés gagnant toujours plus en efficacité. Avec les communs négatif, l'enjeu est fondamentalement renversé. Les conséquences sont vues comme des conditions et l'enjeu est alors de politiser la question de l'existence même (et donc les causes) des communs négatifs. Ceci nous renvoie à la question de la démocratisation des enjeux techniques.