L'émancipation dans un monde capitaliste
Fondamental : Réparer les règles, c'est légitimer le système
Dénoncer les pratiques des entreprises ou pointer les manquements des réglementations revient en réalité à une forme d'acceptation, tout comme celle qui nous a fait accepter le capitalisme parce qu'il a créé le consumérisme et que les réglementations n'ont jamais eu d'autre effet que de tenter de freiner ses excès, uniquement.
Masutti, 2020[1], p. 406
Remarque : Capitalisme et automatisation : suite ou fin ?
Pour Bernard Stiegler, l'économie capitaliste est le fruit d'un mouvement d'automatisation, qui a d'abord permis de gagner en productivité et de redistribuer une partie des gains pour stimuler la consommation, d'où est né le consumérisme.
L'automatisation a des effets concrets (prolétarisation) : les savoirs-faire incorporés se perdent dans les machines et se réduisent à des automatismes.
L'automatisation s'accélère aujourd'hui, en particulier avec l'explosion des systèmes à base de machine learning : le secteur tertiaire est lui aussi touché.
L'automatisation ne s'arrête pas au travail : le marketing, via les pratiques de surveillance, tend à déterminer de plus en plus les choix des consommateurs, les privant ainsi de liberté.
Stiegler spécule qu'à un moment (reste à savoir lequel...), l'automatisation aura atteint de telles limites qu'elle ne permettra plus de redistribution : le capitalisme s'effondrera.
Attention : Il n'y a pas de frontière entre dedans et dehors
Ce qui est difficile, c'est que les choses ne sont pas binaires. Stiegler semble suggérer que le consumérisme et les technologies du capitalisme annihilent la production de connaissances et le libre-arbitre. Pourtant, même sur Facebook on voit des mouvements s'organiser, réfléchir et produire des connaissances. C'est précisément ce que suggérait Fogg en parlant de captologie : « ma mère peut créer un groupe sur Facebook et influencer des centaines, des milliers, voire des millions de personnes » ( Fogg, 2012[2]).
Remarque : L'utopie est déjà là
La gestion communautaire et auto-organisée de ressources (eau, terres, logiciel, encyclopédie...) n'est pas nouvelle. Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie en 2009, montre avec des exemples s'étendant sur plus de mille ans comment des individus parviennent à s'auto-organiser pour gérer des Communs, hors des solutions préconisées par la science économique de l’époque (l'état fort ou la privatisation). Elle donne tort à une longue lignée de philosophes et d'économistes (voir « tragédie des communs ») ( Ostrom, 1990[3]).
Méthode : Prérequis techniques
Masutti propose trois conditions pour limiter radicalement les pratiques du capitalisme de surveillance :
Chiffrement de bout en bout ;
Neutralité du net ;
Fédération généralisée.
Fondamental : « Code is law »
Les institutions publiques s'adaptent là où les pratiques le mènent, par la force des choses. Le refus, lui, ne peut-être qu'idéologique.
Masutti, 2020[1], p. 422
Dans une lutte contre le capitalisme de surveillance, il ne peut y avoir de salut dans la revendication individuelle mais dans la construction d'alternatives de réappropriation collectives des connaissances, des technologies et, plus généralement, des communs, fondées sur le partage et la solidarité. Autrement dit, la lutte contre le capitalisme de surveillance ne peut être décrorrélée d'une lutte économique et sociale.
Masutti, 2020[1], p. 435
Fondamental : Incarner, c'est la meilleure manière de transmettre
Les alternatives les plus transformatrices sont celles structurées autour de collectifs dont le fonctionnement interne représente un imaginaire désirable. La sociologue Marianne Maeckelbergh parle de préfiguration. Avec les mots du géographe Simon Springer, dans un article à charge contre le néolibéralisme :
Préfigurer, c’est rejeter le centrisme, la hiérarchie et l’autorité associés à la politique représentative, en soulignant la pratique incarnée des relations horizontales et des formes organisationnelles qui s’efforcent de refléter la société future que nous recherchons. [...] Préfigurer c’est embrasser la convivialité et la joie qui émanent d’être rassemblés comme égaux radicaux ; non pas comme des soldats au front ni comme le prolétariat sur la voie de la promesse transcendantale et vide de l’utopie ou du « non lieu », mais comme l’immanence enracinée de l’ici et maintenant, de la fabrique d’un nouveau monde « dans la coquille du vieux », du travail constant et de la réaffirmation que tout cela implique.