Lowtechisation (proposition)

De la low-tech à la lowtechisation (définition)

Lowtechisation

Lowtech- (réflexivité, modestie, contribution)

  • La réflexivité consiste à accepter la non maîtrise technique, il va toujours se passer des choses non prévues, et à s'inscrire dans une logique de doute.

  • La logique de contribution signifie que chacun peut participer à l'élaboration des technologies dont il dépend.

  • La modestie vise à concevoir des systèmes suffisamment simples pour que la majorité des humains qui seront en prise avec ce système soient en mesure de participer à leur régulation.

isation (redirection, itérativité, délibération)

  • La redirection implique une logique de continuité à la fois positive (profiter des apports des sciences et techniques modernes lorsqu'on les juge souhaitables) et négatives (devoir hériter des systèmes techniques non souhaités mais existants).

  • L'itérativité instrumente un processus d'élaboration progressive, d'expérimentation et de remise en cause des propositions conçues.

  • La délibération pose les bases d'une démocratie technique au sein de laquelle les citoyens sont invités à débattre et choisir.

Définition

La lowtechisation est un processus de conception consistant à rediriger l'ingénierie pour négocier le spectre fonctionnel et la complexité technique des objets afin de créer des outils :

  • plus soutenables écologiquement,

  • plus responsables socialement,

  • et plus conviviaux techniquement.

Remarque

Elle implique notamment :

  • de chercher un autre rapport à la technique (poser les problèmes différemment afin de se détacher des pratiques majoritaires) ;

  • de vouloir avoir le choix (explorer, expérimenter, proposer des alternatives) ;

  • de ne pas accepter certains impacts sociaux et écologiques (refuser de continuer de creuser certains sillons ou d'ouvrir de nouvelles routes a priori nocives).

Fondamental

  • La lowtechisation n'est aucunement un rejet de la technique mais une redirection critique de la conception qui assume la non neutralité, la non maîtrise et l'héritage technique.

  • La lowtechisation se définit contre le processus dominant de hightechisation (ou technosolutionnisme), elle s'y adosse en quelque sorte pour faire exister la possibilité d'une autre pratique de l'ingénierie.

  • La lowtechisation ne pose pas un état idéal à atteindre, fixé a priori, mais propose un processus de questionnement systématique et collectif de la conception technique.

ExempleLowtechisation et numérique

  • Produire des objets numériques durables (un ordinateur ou un smartphone qui dure 50 ans)

  • Remettre en cause des modes de consommation du numérique (vidéos basse résolution, substitution par du son ou du texte, écrans modestes...)

  • Imaginer d'autres modes d'accès au réseau et aux services (offres relocalisée...)

  • Limiter les technologies asservissantes (disposer de services numériques locaux soumis au contrôle démocratique plutôt que de services globaux maîtrisés par des géants internationaux)

  • Redonner de la place aux relations humaines (indépendance des services publics au numérique).

  • Mobiliser des énergies locales renouvelables et intermittentes (pas de réseau la nuit)

Lowtechiser la voiture (exemple canonique)

La voiture électrique (principe)

Le passage à une énergie électrique permet de conserver le principe d'une voiture individuelle multifonctions.

L'énergie électrique :

  • est une énergie secondaire (une « monnaie ») qui permet de faire évoluer plus facilement les sources d'énergie primaire mobilisées pour la voiture individuelle (thermique, solaire, éolien, nucléaire...) ;

  • permet de ne pas avoir d'émission de au moment de l'usage (ni CO2 ni autres polluants atmosphériques).

La voiture électrique : il y a des « mais »

Mais :

  • elle n'assure pas en soi la réduction des émission de CO2 (cela dépend toujours de comment est produite l’énergie primaire) ;

  • il y a plus d'émissions lors des la phase de production (il y a une « dette » à rembourser pour rentabiliser)

  • les processus de fabrication (batterie notamment) posent des de nouveaux problèmes sociaux et environnementaux (terres rares...).

La « solution » voiture électrique empêche de penser différemment la fonction de déplacement :

  • mutualisation et partage des véhicules individuels ;

  • réduction de la taille et vitesse des voitures ;

  • investissement dans les transports collectifs ;

  • développement de parkings périurbains ;

  • ...

Imaginer une voiture radicalement différente

  • propriété : privée → commun

  • usage : individuel → partage

  • vitesse maximale : > 150 km/h → vitesse d'usage moyenne 50 km/h

  • poids : > 1 tonne → 10 fois plus légère (1kg d'objet transportant pour 1kg transporté)

  • durée de vie < 15 ans → durabilité, réparabilité, recyclabilité

  • valeurs : nouveauté, automatisation → maîtrise, simplicité

  • ...

Exemple

Lowtechisation et ingénierie (positionnement amont)

Ernst Friedrich Schumacher (1973) rapporte trois approches pour concevoir des technologies intermédiaires, appropriées aux objectifs sociaux alternatifs qu'il défend avec celles-ci.

Transformer

En première approche, on part des techniques existantes pour les transformer dans une logique de transition.

  • Exemple : des voitures 2 fois moins rapides et 2 fois moins lourdes.

  • On conserve le système industriel traditionnel et on adapte les cahiers des charges qu'il adresse.

  • Cela permet de gérer une continuité entre deux mondes, en terme de compétences disponibles et d'organisation sociale.

S'emparer

En seconde approche, l'idée est de s'emparer des technologies et connaissances les plus avancées pour les réorienter vers les nouveaux objectifs dans une logique de redirection.

  • Exemple : dans le domaine du numérique, plutôt que d'investir massivement dans la poursuite des trajectoires actuelles, augmentation des capacités, des vitesses, des quantités, ou le développement de l'IA, on pourrait vouloir s'emparer des moyens numériques pour ne poursuivre que les objectifs sociaux-environnementaux visés.

  • Des applications existent aujourd'hui par exemple pour mobiliser des outils numériques au service du développement de la permaculture, sans en faire dépendre celle-ci.

  • Cette approche à l'avantage de profiter de l'état de l'art technique et scientifique tout en mettant un frein à certains développements.

Inventer

Enfin, la troisième approche consiste à mener des recherches originales pour élaborer directement des techniques nouvelles adaptées aux nouveaux objectifs formulés.

  • Par exemple dans le domaine de la biologie pour assainir de l'eau ou aider à la réparation d'écosystèmes.

  • L'avantage est l'exploration de nouveaux champs et donc la perspective d'une meilleure compréhension de certains phénomènes.

  • Une difficulté est que cette démarche est parallèle aux autres démarches de recherche, on peut donc concevoir des dispositifs de régulation de certains paramètres écologiques pendant que le reste de l'industrie s'attache à continuer de déréguler.

Bricolage de méthodes : analyse de la valeur, écoconception, agilité, design social, culture libre et au delà

Analyse de la valeur : 6 étapes (articulées aux 6 principes de la lowtechisation)

  • A. Orientation Phase

  • B. Information Phase

  • C. Functional Phase

  • D. Creative Phase

  • E. Evaluation Phase

  • F. Development Phase

  • G. Presentation Phase

  • H. Implementation And Follow Up

(Sharma & Belokar, 2012)

Redirection des méthodes agiles

Écoconception : modestie → veille

L'ISO 14062 fournit un cadre pour l'éco-conception, qui comprend les étapes suivantes :

  • Identifier les aspects environnementaux tout au long du cycle de vie du produit;

  • Évaluer les impacts environnementaux du produit;

  • Définir des objectifs environnementaux pour le produit;

  • Concevoir le produit en utilisant des méthodes et des outils d'éco-conception;

  • Analyser la performance environnementale du produit et la comparer à ses objectifs environnementaux;

  • Améliorer la conception du produit en utilisant les résultats de l'évaluation de la performance environnementale.

Méthodes agiles : itérativité → idéation

Une méthode agile est une approche itérative et incrémentale, qui est menée dans un esprit collaboratif, avec juste ce qu'il faut de formalisme. (Messager-Rota, 2009)

Timeboxing & product backlog

Petites histoires : contribution → maquettage

Au sein des méthodes agiles, les user stories (récits utilisateurs) sont des techniques pour exprimer les objectifs qui doit remplir le produit en cours de conception. Elles sont formulées avec la granularité très fine et décrivent une fonctionnalité précise recherché du point de vue de l'utilisateur final.

Exemple

Marc est végétarien. Il se rend au marché pour acheter des légumes. La marché est labellisé CoSo² (Consommation Soutenable, Conviviale et Sociale), cela signifie que chaque produit est associé à un QR code associé à l'application. Marc s'approche d'un stand comportant des fruits et légumes très diversifiés, on est en février, il est surpris d'avoir autant de choix proposé. Il commence par scanner les carottes et consulte les informations associées. Il est satisfait de voir que ces carottes sont produites dans un village voisin. Il consulte ensuite les informations nutritives, 6 kcal pour 100g, 0.800g de protéines, et ce que ça représente en terme d'apport journalier pour lui. Il relève notamment les 10% pour le potassium et pour la vitamine B6. Enfin il jette un œil aux impacts associés : 30g de CO2, ce qui est 25% inférieur à la moyenne des carottes en France, aucun apport en eau, aucun intrants autres que du fumier et du paillage issue de la ferme elle-même. Le producteur n'a pas le label bio, mais Marc note qu'il semble en respecter tout le cahier des charges. Il scanne également des tomates produites sous serre chauffée, et des avocats du Mexique. Il est étonné que l'impact carbone des avocats ne soit pas si élevé, malgré l'import, mais question eau et biodiversité, c'est la cata. Les tomates hors-saison, on en parle pas. Ce soir ce sera carotte, patates et pois.

Expression fonctionnelle : redirection → analyse

L'expression fonctionnelle consiste à exprimer les fonctions que le produit ou le service en conception doit rendre aux utilisateurs.

Par exemple :

Le système CoSo² Client permet à l'acheteur de consulter des informations sur des légumes (provenance, valeur nutritive, impact écologique...)

Chaque fonction est positionnée selon le modèle de 27 critères de la lowtechisation.

Design social : réflexivité → évaluation

Est-ce que son design contribue ou non au bien être social ? (Papanek, 1971)

Nous traduisons ce questionnement dans notre approche en introduisant une étape d'évaluation réflexive qualitative et a priori :

  • a priori, car elle est menée au début du processus, avant que le produit n'existe (et donc à un moment où il est encore facile de le faire évoluer) ;

  • qualitative, car ce stade précoce du projet rendent les mesures quantitative, de type ACV, impossible ou difficile ;

  • réflexive, car elle est menée par les acteurs impliqués dans la conception eux-même.

Exemple

  • L'outil "Diamant" cherche à positionner les fonctions sur un diagramme afin d'évaluer si elles sont susceptible de contribuer positivement ou négativement aux 5 facteurs d'effondrement théorisés par Jared Diamond (2005).

  • L'outil "Carré du Soin" s'inspire du concept éponyme de Xavier Guchet (2022) pour positionner les contributions du projet aux axes rechercher la connaissance, expliquer rationnellement, s'insérer dans la nature et considérer les utilisateurs.

  • "Les 7 péchés du greenwashing" pour détecter les éléments de discours ou justifications problématiques ou "effets rebonds" pour anticiper les possibles effets indirect du projet.

Culture libre : délibération → publication

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

Art. 122-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI)

Une licence libre est un contrat a priori proposé par le détenteur d'un droit d'auteur au reste du monde. Il permet à chacun d'utiliser librement le contenu ou le logiciel soumis au droit d'auteur sans avoir besoin de demander d'autorisation préalable.

L'étape de publication dans le cadre de la lowtechisation consistera à mettre à disposition publiquement l'ensemble des travaux menés sur un site web, et à lui associer une licence libre de type copyleft, typiquement la Creative Commons BY-SA.

Exemple

Bricolage de concepts : écologie, société, technique

Le triangle QCD

La gestion de projet moderne s'appuie sur un triptyque de critères, le triangle d'or :

  • qualité : satisfaire le client (lui en donner pour son argent)

  • coûts : réduire les coûts (satisfaire le vendeur en maximisant la marge)

  • délais : notamment pour être réactif sur un marché compétitif

Exemple

L'écoconception permet à l’entreprise de réduire ses coûts et de rester dans la course dans les secteurs à forte intensité concurrentielle. [...] Le positionnement sur des produits plus respectueux de l’environnement permet de résister à la concurrence et de maintenir, voire d’augmenter le chiffre d’affaires. [...] [Le] positionnement des modèles d’affaire sur la vente de services, ils permettent de lisser l’activité, de rendre les revenus plus prévisibles et d'augmenter les profits. (Ademe, 2012)

Exemple

Our highest priority is to satisfy the customer through early and continuous delivery of valuable software. (Agilemanifesto, 2001)

Redirection du triangle QCD (concevoir sans compter)

La stratégie adoptée par la lowtechisation est d'emprunter à ces méthodes la majorité de leurs principes, telles la collaboration et le dialogue entre les humains, l'engagement dans le faire, la souplesse, l'autonomisation des individus, la recherche de simplicité, l'acceptation de la remise en cause de l'existant, des représentations a priori des acteurs... ; puis de faire l'hypothèse que les démarches et méthodes de l'ingénierie restent opérantes en mobilisant d'autres valeurs pour les piloter.

Modèle alternatif proposé

Lowtechisation : valeurs, leviers, tensions

Exercice

En quoi les démarches de réflexivité, contribution et modestie participent-t-elles de la lowtechisation ?

En quoi les démarches de redirection, itérativité et délibération participent-t-elles de la lowtechisation ?

Donnez un exemple dans la méthodologique de lowtechisation pour chacune des démarches technocritiques proposées : réflexivité, contribution, modestie, redirection, itérativité, délibération.

Schumacher, 1973

Schumacher E. F.. 1973. Small Is Beautiful - une société à la mesure de l'hommeSmall is beautiful. Le Seuil.

Sharma and Belokar, 2012

Sharma Amit, Belokar R.M.. 2012. Achieving Success through Value Engineering: A Case Study. in Proceedings of the World Congress on Engineering and Computer Science. vol.2.

Messager, 2009

Messager-Rota Véronique, Gestion de projet : Vers les méthodes agiles, Eyrolles, 2007.

Papanek, 1972

Papanek Victor J.. 1972. Design for the real world: human ecology and social changeDesign for the real world. 1st American ed., New York, Pantheon Books.

Liste des raccourcis clavier

Liste des fonctions de navigation et leurs raccourcis clavier correspondant :

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  • Diapositive Suivante : touche T
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  • Fermer zoom : touche Échap.