Ataraxie
Tetrapharmakon (quadruple remède)
Épicure propose une méthode pour accéder au bonheur :
Les dieux ne sont pas à craindre (ils ne s'occupent pas des humains).
Ne vous inquiétez pas de la mort (quand on est mort on ne sent plus rien).
La souffrance est facile à supporter (en général elle ne dure pas ou bien on en meut).
Le bonheur est facile à obtenir : il suffit de gérer ses désirs pour atteindre (ou se rapprocher de) l'ataraxie.
Définition : Ataraxie
Épicure définissait l'ataraxie comme un état d'absence de trouble et proposait pour rechercher cet état une hiérarchie des plaisirs fondée sur une priorisation des besoins (ne satisfaire que les besoins nécessaires) et sur la modération (l'excès n'est jamais nécessaire).
Hiérarchie des besoins
Remarque : Besoins non naturels et nécessaires
Cette catégorie ne fait pas partie de la typologie d'Épicure, elle y a pourtant toute sa place et est peut-être la catégorie centrale dans le cadre de l'articulation avec la lowtechisation.
Construire une lance pour chasser n'est pas naturel, un foyer pour se chauffer non plus, c'est pourtant nécessaire à l'humain. Le non-naturel relève fondamentalement du technique. Or le technique ne peut pas être toujours non-nécessaire puisqu'il est fondateur de l'être humain.
Complément : Rationalisation de la recherche du bonheur
« Pour Epicure, le quatrième remède est donc la maîtrise rationnelle des désirs, qui est à la fois éducation et dressage. »
« Éducation, dans la mesure où les raison d'être de cette maîtrise doivent être méditées et comprises par l'individu lui-même pour que la méthode soit efficace. [...] »
« Dressage, puisque si c'est par l'habitude qu'un désir devient besoin et crée la dépendance, c'est également en prenant l'habitude de ne satisfaire que nos désirs naturels et nécessaires que nous cesserons de désirer les autres. »
Complément : Démarche individuelle (expression de la liberté)
« La philosophie n'est pas un médicament que l'on peut inoculer à autrui contre son gré ! ("Apprends donc à te satisfaire de la satisfaction de tes besoins" ne semble pas pouvoir rendre quelqu'un heureux... tant qu'il ne saisit pas la sagesse de la formule. »
Complément : Recherche d'indépendance (condition de la possibilité de choisir)
« Rien ne vous interdit, bien sûr, de dormir de temps à autre dans un lit matelassé... tant que vous n'en "faites pas une habitude", au sens propre. Rien ne vous interdit de boire cet excellent vin que l'on vous propose... tant que ceci ne vous conduit pas à désirer en boire là même où nul n'est susceptible de vous en proposer. »
Besoins artificiels
Introduction
Besoins et utilité
Définition : Utile
Dont l'usage, la pratique est ou peut être avantageux pour quelqu'un; qui satisfait un besoin, répond à une demande sociale.
Qu'est-ce qui est utile ?
Une low-tech répond à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif. Elle contribue à rendre possible des modes de vie, de production et de consommation sains et pertinents pour tous dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’alimentation, l’eau, la gestion des déchets, les matériaux, l’habitat, les transports, l’hygiène ou encore la santé.
Exemple :
Trois aspirateurs en huit ans, ça commence à faire beaucoup. Cette fois, sur l’aspirateur balai sans fil de Sophie, c’est une pièce en plastique qui a cédé : celle qui relie le pistolet amovible au manche. [...] Malgré ses déboires, Sophie n’a pas envie de renoncer à ce type d’appareils, fonctionnant sur batterie : "C’est drôlement pratique de ne plus avoir à se brancher partout pour nettoyer la maison."
Exemple : Alors ?
L'aspirateur est utile car il adresse le domaine « gestion des déchets ».
Il est « avantageux » pour l'individu car il lui fait gagner en « liberté » : gain de temps, ménage plus régulier, moins de fatigue physique, prévention du mal de dos...
Qui décide ?
Un balai est utile et répond à un besoin ?
Un aspirateur traîneau est utile et répond à un besoin ?
Un aspirateur balai sans fil est utile et répond à un besoin ?
Exemple : Même la publicité serait « possiblement » utile ?
Le gouvernement a choisi de ne pas reprendre l’interdiction de la publicité sur les promotions et ventes par lot en raison de son possible intérêt pour les ménages.
Suivi de la Convention citoyenne pour le climat. https://www.ecologie.gouv.fr/suivi-convention-citoyenne-climat
Besoins et hiérarchie
Pouvons-nous définir une hiérarchie des besoins (de vital à nuisible) ?
Un peu comme nous classons aujourd’hui les appareils électroménagers ou les logements selon l’“étiquette-énergie” qui va de A à G, il est possible de classer l’ensemble de nos besoins selon une échelle allant des besoins “vitaux”, ceux dont aucun être humain ne peut se passer, aux besoins “nuisibles”, ceux dont la satisfaction nous procure un plaisir souvent égoïste et dérisoire en regard des méfaits qu’ils provoquent directement ou indirectement sur l’environnement ou sur autrui, aujourd’hui ou demain. Entre ces deux extrêmes, nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux à ceux qui sont essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables.
Attention : Les besoins sont (presque) toujours relatifs
En dehors de quelques cas triviaux, on ne sait pas classer de façon évidente nos besoins et encore moins les réduire à une étiquette-énergie qui renverrait à quelque chose d'objectivable, de mesurable
Exemple :
Se nourrir est nécessaire mais peut-être assimilé à des besoins différents (Keucheyan, 2019) :
manger de la nourriture crue avec les doigts ;
manger de la nourriture cuite avec des ustensiles (assiette, couteau, fourchette) ;
manger de la nourriture préparée, pré-cuite, pré-cuisinée, se conservant longtemps, emballée.
Fondamental :
On fait l'hypothèse que l'on peut évaluer individuellement nos besoins a minima deux à deux : x vaut plus que y pour moi.
Pour passer à l'échelle d'une société, il faut donc des espaces pour délibérer et décider des hiérarchies subjectivement et collectivement.
Besoins et technique
Fondamental : Besoins sont artificiels (socio-techniquement constitués)
Les besoins sont à la fois :
naturels (ou biologiques, au sens de ressentis par le corps)
et artificiels (ou construits, au sens socio-techniques).
Bergson (d'après Guchet, 2022)
La technique est une activité créatrice de nouvelles valeurs (de reconfiguration du monde) qui crée de nouveaux besoins (cycle perpétuel).
Les nouveaux besoins peuvent télescoper des besoins plus nécessaires (rester en bonne santé, en vie, faire ses choix...).
Besoins artificiels et contraintes naturelles : sortir du cadre de la nature n'implique pas d'oublier le cadre de la nature, et en particulier les aspects qui permettent de rester en vie
Ce qui légitime la notion de frugalité ou sobriété
Cf la théorie du Donut de Raworth (2012)
Remarque :
Les évolutions techniques créent de nouveaux modes de rapport au monde et font donc évoluer les besoins, qui sont toujours, en ce sens, artificiels.
Le capitalisme productiviste fabrique des besoins pour soutenir sa croissance, ce qui les rend « encore plus » artificiels (il y a organisation humaine explicitement tournée vers la création des nouveaux besoins).
Remarque : Paradoxe (apparent)
Les besoins radicaux émergent grâce à l'accélération du développement technique et au capitalisme qui permet de distinguer :
des besoins artificiels qui résulteraient d'une évolution technique historique lente
de ceux qui sont créés pour répondre au besoin de la croissance moderne.
Ingénierie des besoins
Susciter des nouveaux besoins artificiels suppose de :
inventer des objets ou des services nouveaux,
optimiser leur ergonomie pour en naturaliser l'usage : rationalisation du geste, accélération de la procédure, abstraction du coût économique, invisibilisation du coût matériel,
et d'accélérer le rythme de leur renouvellement.
Exemple : Ingénierie des besoins
Les machines à sous de Las Vegas : fauteuil confortable, bouton simple d'usage, accès à la carte bancaire...
Le 1-Click d'Amazon
...
Besoins et histoire
Les besoins sont dynamiques (historiquement constitués)
Les besoins ont tous une histoire, ils évoluent avec le temps.
Leur valuation évolue aussi : superflu versus authentique, insoutenable versus soutenable, aliénant versus autonomisant.
Exemple :
J'ai besoin d'un médicament qui me maintien en vie, même si ce médicament a été inventé récemment.
J'ai besoin de pouvoir communiquer à distance rapidement et facilement pour entretenir mon réseau social.
Je n'ai pas besoin de vivre à proximité de mon lieu de travail car je dispose de modalités de transport rapides et disponibles.
je n'ai pas besoin de savoir réparer les objets que j'utilise car je peux facilement les remplacer.
Besoins et valeurs
Fondamental : Les besoins renvoient à des valeurs
Le besoin est un fait du vivant (biologique) et en même temps le produit d'un choix de valeurs.
De quoi avons nous besoin ?
André Gorz et Agnès Heller posent la question (Keucheyan, 2019) : « De quoi avons nous besoin ? »
Tous les besoins ne sont pas de même valeur ;
certains besoins sont néfastes pour la personne et/ou la société.
II est nécessaire d'évaluer les besoins car leur adressage technique est organisateur de l'environnement et des situations de vie.
Fondamental : Notion de valeur construite et de processus de valuation
Il 'y a pas de valeurs pré-existantes dans le monde, mais :
des activités valuatrices effectuées par les êtres vivants,
qui permettent d'attribuer des valeurs aux situations, de façon constructiviste.
Atarxie & co
Dans le lignée de l'ataraxie Épicurienne on souhaiterait séparer :
les bons besoins (radicaux, qualitatif, absolus, authentiques, nécessaires...)
des mauvais besoins (ce qui sont superflus et/ou nuisibles).
Exemple : Pistes pour évaluer les besoins
Qu'est-ce qu'un besoin authentique (Keucheyan, 2019) ?
un besoin dont dépend la survie de l'organisme (cf. Stephen Mac Leod, renvoie aux besoins naturels et nécessaires d'Épicure) ;
un besoin universel, c'est à dire que chaque humain peut expérimenter (cf. Agnès Heller, renvoie au caractère universel de l'impératif catégorique kantien, renvoie à la soutenabilité) ;
dont on est acteur, qui n'aliène pas (cf. Agnès Heller, renvoie à la convivialité d'Ivan Illich).
Attention :
Nos besoins embarquent souvent plusieurs valeurs, qui peuvent être contradictoires.
Exemple :
Je voyage pour :
me distraire,
prouver ma hiérarchie sociale,
me cultiver et m'ouvrir au monde,
...
Complément :
Décroissance
Croissance et impact environnemental
Je peux vous dire en tant que biologiste que toutes les courbes exponentielles que nous observons dans le monde végétal et dans le monde animal parmi les êtres vivants, finissent toujours extrêmement mal. Le cas où ça se passe moins mal, c'est lorsqu'il y a une stabilisation. (Jean Dorst, 1974).
Effondrements et imaginaires (à partir de Meadows et al., 2012)
Croissance : promesses et réalité (avec le Donut)
Rappel :
RAWORTH, Kate, 2012. A safe and just space for humanity : can we live within the doughnut ? Oxfam Discussion Paper.
The Social Shortfall and Ecological Overshoot of Nations
FANNING, Andrew, O’NEILL, Daniel, HICKEL, Jason et NICOLAS, Roux, 2022. The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability. 1 janvier 2022. Vol.5. DOI 10.1038/s41893-021-00799-z.
Critique du PIB (avec Timothée Parrique)
Compter...
Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, ce qui est compté ne compte pas forcément.
Exemple : L'arbre
L'arbre n'a de valeur que lorsqu'il est coupé et vendu, mais sa propre production par la biosphère et les services qu'il rend durant sa vie (fabrication de l'oxygène, capture du carbone, rafraîchissement de l'air, stabilisation des sols, protection de la biodiversité, etc.) ne comptent pas.
Critique du PIB
e PIB mesure :
les biens et les services, mais pas leur répartition
les transactions marchandes, mais pas les liens sociaux
les valeurs monétaires, mais pas les volumes naturels
Exemple :
L'introduction des engrais, pesticides et herbicides, a augmenté temporairement le rendement du travail agricole, mais ce au prix d'une perte de biodiversité, de fertilité des sols, et d'une mise à risque de la santé des travailleurs.
PIB et progrès
Le progrès technique n'est qu'illusoire si on l'augmentation de la productivité d'un facteur (marchand) se fait au détriment de la productivité d'un autre (non marchand).
Le travail domestique
Le travail domestique est « gratuit » :
il n'est pas mesuré par le PIB ;
il fait croître le PIB quand on le transfère (il génère donc une croissance artificielle).
Principe du découplage
Définition :
Remarque :
Si un découplage a bien été constaté en termes relatifs à lʼéchelle de la planète ou en termes absolus pour certaines régions du monde, au niveau mondial les émissions de CO2 et plus généralement de GES continuent à croître en valeur absolue.
Géraldine Thiry, 2023. Transitions : changer de regard(s) pour changer de système(s), Formation groupe UT, Luxeuil-les-bains.
Remarque :
Considérer les GES est insuffisant (ce n'est qu'une partie du problème environnemental).
Complément :
Critique du découplage
Un pari incertain
Full decoupling of economic growth and resource consumption may not be possible.
European Environment Agency. « Growth without Economic Growth ». Briefing, 2023. https://www.eea.europa.eu/publications/growth-without-economic-growth
Définition : EROI (Energy Return on Energy Invested ou Taux de retour énergétique)
Rapport entre la quantité d'énergie investie afin de rendre disponible une quantité d'énergie
Découplage improbable
L'augmentation des dépenses énergétiques : pas d'économie sans énergie, pas d'énergie sans matériaux ; aujourd'hui les EROI sont en baisse, donc la croissance est de plus en plus difficile
L'empreinte écologique des services : les services s'ajoutent et ne se substituent, les services ne sont pas sans support technique (le numérique n'est pas immatériel)
Les limites du recyclage : recycler à 90% (on est loin de ce taux en général), c'est perdre la moitié de la matière après 6 cycles
Les freins technologiques : inertie versus urgence (en France, entre 7 et 9 ans pour installer un parc éoliens, 15 ans pour une centrale nucléaire), empilement technologique (les ordinateurs n'ont pas remplacé le papier), espérance de résultats jamais observés (exemple de réduction de l'intensité carbone)
Complément :
Les effets rebonds
Décroissance (avec Timothée Parrique)
Décroissance
Réduction de la production et de la consommation pour alléger l'empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.
Post-croissance
Économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble où les richesses sont équitablement partagées afin de prospérer sans croissance.
Complément :
Revenu disponible par mois et par personne de (après contributions sociales) :
1800€ en France
1500€ dans l'Union Européenne
Source : Insee, 2021
Complément :
Fermeture
Fondamental :
« Si nous ne parvenons pas à traduire les alertes climatiques et écologiques en actes concrets à la hauteur de ces enjeux, c'est parce que nous n'arrivons pas à "fermer les choses". »
Fondamental : « Des tonnes d'affaires à régler »
Nous héritons d'un monde dont nous dépendons (organisations, modèles économiques, usines, logistique...), il faut reconnaître et accepter ces objets y compris dans leur dimension négative (en hériter) pour rompre avec eux (s'en détacher, y renoncer, les fermer).
Définition : Héritage
Hériter ne signifie pas suspendre ni rompre brutalement, mais gérer dans un contexte de deuil, « comme on hérite d'une responsabilité sans l'avoir choisie »
(Bonnet, Landivar, Monnin, 2021).
L'héritage est d'abord une continuité (et ce n'est pas un choix).
L'héritage est un deuil.
L'héritage est une charge.
L'héritage est une responsabilité.
Définition : Fermeture
Organiser la fin de la création, de la production et de l'usage de certaines technologies via la mise en place de stratégies de sobriété, voire de peurs ou d'interdits (tabous).
Remarque :
La fermeture s'oppose à l'ouverture qui est le moteur de notre trajectoire de développement, le paradigme ultra-dominant de l’économie et de l'ingénierie.
Attention : Ce sont des projets difficiles
Il y a peu de compétences techniques de la fermeture (les ingénieurs sont des ingénieurs de l'ouverture et non de la fermeture).
Il y a une représentation négative des métiers de la fermeture (démolisseurs, éboueurs...).
La question de la fermeture est toujours systémique (un hypermarché fait vivre 1500 familles).
Ruines ruinées et ruines ruineuses
Ruine ruinée : ruines de fait, visibles, vieilles, détruites, qu'il faut gérer comme déchets (ex : usines désaffectées)
Ruine ruineuse : ruines en puissance, qui peuvent être flambantes neuves, qui coûtent (qui ruine) au niveau écologique (ex : aviation) souvent de façon systémique (ex : chaînes logistiques).
L'objectif premier de la fermeture est transformer les ruines ruineuses en ruines ruinées par la rupture des relations de dépendance à ces technologies.
Exercice
En quoi les besoins humains sont-ils artificiels ?
En quoi la décroissance est-elle souhaitable ?
En quoi la décroissance implique-t-elle la fermeture ?