Besoins artificiels, décroissance et fermeture

Ataraxie

Tetrapharmakon (quadruple remède)

Épicure propose une méthode pour accéder au bonheur :

  • Les dieux ne sont pas à craindre (ils ne s'occupent pas des humains).

  • Ne vous inquiétez pas de la mort (quand on est mort on ne sent plus rien).

  • La souffrance est facile à supporter (en général elle ne dure pas ou bien on en meut).

  • Le bonheur est facile à obtenir : il suffit de gérer ses désirs pour atteindre (ou se rapprocher de) l'ataraxie.

DéfinitionAtaraxie

Épicure définissait l'ataraxie comme un état d'absence de trouble et proposait pour rechercher cet état une hiérarchie des plaisirs fondée sur une priorisation des besoins (ne satisfaire que les besoins nécessaires) et sur la modération (l'excès n'est jamais nécessaire).

Hiérarchie des besoins

Ataraxie

RemarqueBesoins non naturels et nécessaires

Cette catégorie ne fait pas partie de la typologie d'Épicure, elle y a pourtant toute sa place et est peut-être la catégorie centrale dans le cadre de l'articulation avec la lowtechisation.

Construire une lance pour chasser n'est pas naturel, un foyer pour se chauffer non plus, c'est pourtant nécessaire à l'humain. Le non-naturel relève fondamentalement du technique. Or le technique ne peut pas être toujours non-nécessaire puisqu'il est fondateur de l'être humain.

ComplémentRationalisation de la recherche du bonheur

« Pour Epicure, le quatrième remède est donc la maîtrise rationnelle des désirs, qui est à la fois éducation et dressage. »

  • « Éducation, dans la mesure où les raison d'être de cette maîtrise doivent être méditées et comprises par l'individu lui-même pour que la méthode soit efficace. [...] »

  • « Dressage, puisque si c'est par l'habitude qu'un désir devient besoin et crée la dépendance, c'est également en prenant l'habitude de ne satisfaire que nos désirs naturels et nécessaires que nous cesserons de désirer les autres. »

Garandel, 2010

ComplémentDémarche individuelle (expression de la liberté)

« La philosophie n'est pas un médicament que l'on peut inoculer à autrui contre son gré ! ("Apprends donc à te satisfaire de la satisfaction de tes besoins" ne semble pas pouvoir rendre quelqu'un heureux... tant qu'il ne saisit pas la sagesse de la formule. »

Garandel, 2010

ComplémentRecherche d'indépendance (condition de la possibilité de choisir)

« Rien ne vous interdit, bien sûr, de dormir de temps à autre dans un lit matelassé... tant que vous n'en "faites pas une habitude", au sens propre. Rien ne vous interdit de boire cet excellent vin que l'on vous propose... tant que ceci ne vous conduit pas à désirer en boire là même où nul n'est susceptible de vous en proposer. »

Garandel, 2010

Besoins artificiels

Introduction

Besoins et utilité

DéfinitionUtile

Dont l'usage, la pratique est ou peut être avantageux pour quelqu'un; qui satisfait un besoin, répond à une demande sociale.

cnrtl.fr

Qu'est-ce qui est utile ?

Une low-tech répond à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif. Elle contribue à rendre possible des modes de vie, de production et de consommation sains et pertinents pour tous dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’alimentation, l’eau, la gestion des déchets, les matériaux, l’habitat, les transports, l’hygiène ou encore la santé.

https://lowtechlab.org/fr/la-low-tech

Exemple

Trois aspirateurs en huit ans, ça commence à faire beaucoup. Cette fois, sur l’aspirateur balai sans fil de Sophie, c’est une pièce en plastique qui a cédé : celle qui relie le pistolet amovible au manche. [...] Malgré ses déboires, Sophie n’a pas envie de renoncer à ce type d’appareils, fonctionnant sur batterie : "C’est drôlement pratique de ne plus avoir à se brancher partout pour nettoyer la maison."

Douriez, 2023

ExempleAlors ?

  • L'aspirateur est utile car il adresse le domaine « gestion des déchets ».

  • Il est « avantageux » pour l'individu car il lui fait gagner en « liberté » : gain de temps, ménage plus régulier, moins de fatigue physique, prévention du mal de dos...

Qui décide ?

  • Un balai est utile et répond à un besoin ?

  • Un aspirateur traîneau est utile et répond à un besoin  ?

  • Un aspirateur balai sans fil est utile et répond à un besoin ?

ExempleMême la publicité serait « possiblement » utile ?

Le gouvernement a choisi de ne pas reprendre l’interdiction de la publicité sur les promotions et ventes par lot en raison de son possible intérêt pour les ménages.

Suivi de la Convention citoyenne pour le climat. https://www.ecologie.gouv.fr/suivi-convention-citoyenne-climat

Besoins et hiérarchie

Pouvons-nous définir une hiérarchie des besoins (de vital à nuisible) ?

Un peu comme nous classons aujourd’hui les appareils électroménagers ou les logements selon l’“étiquette-énergie” qui va de A à G, il est possible de classer l’ensemble de nos besoins selon une échelle allant des besoins “vitaux”, ceux dont aucun être humain ne peut se passer, aux besoins “nuisibles”, ceux dont la satisfaction nous procure un plaisir souvent égoïste et dérisoire en regard des méfaits qu’ils provoquent directement ou indirectement sur l’environnement ou sur autrui, aujourd’hui ou demain. Entre ces deux extrêmes, nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux à ceux qui sont essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables.

(Salomon and Jedliczka, 2015)

AttentionLes besoins sont (presque) toujours relatifs

En dehors de quelques cas triviaux, on ne sait pas classer de façon évidente nos besoins et encore moins les réduire à une étiquette-énergie qui renverrait à quelque chose d'objectivable, de mesurable

Exemple

Se nourrir est nécessaire mais peut-être assimilé à des besoins différents (Keucheyan, 2019) :

  • manger de la nourriture crue avec les doigts ;

  • manger de la nourriture cuite avec des ustensiles (assiette, couteau, fourchette) ;

  • manger de la nourriture préparée, pré-cuite, pré-cuisinée, se conservant longtemps, emballée.

Fondamental

  • On fait l'hypothèse que l'on peut évaluer individuellement nos besoins a minima deux à deux : x vaut plus que y pour moi.

  • Pour passer à l'échelle d'une société, il faut donc des espaces pour délibérer et décider des hiérarchies subjectivement et collectivement.

Besoins et technique

FondamentalBesoins sont artificiels (socio-techniquement constitués)

Les besoins sont à la fois :

  • naturels (ou biologiques, au sens de ressentis par le corps)

  • et artificiels (ou construits, au sens socio-techniques).

Guchet, 2022

Bergson (d'après Guchet, 2022)

  • La technique est une activité créatrice de nouvelles valeurs (de reconfiguration du monde) qui crée de nouveaux besoins (cycle perpétuel).

  • Les nouveaux besoins peuvent télescoper des besoins plus nécessaires (rester en bonne santé, en vie, faire ses choix...).

  • Besoins artificiels et contraintes naturelles : sortir du cadre de la nature n'implique pas d'oublier le cadre de la nature, et en particulier les aspects qui permettent de rester en vie

    • Ce qui légitime la notion de frugalité ou sobriété

    • Cf la théorie du Donut de Raworth (2012)

Remarque

  • Les évolutions techniques créent de nouveaux modes de rapport au monde et font donc évoluer les besoins, qui sont toujours, en ce sens, artificiels.

  • Le capitalisme productiviste fabrique des besoins pour soutenir sa croissance, ce qui les rend « encore plus » artificiels (il y a organisation humaine explicitement tournée vers la création des nouveaux besoins).

RemarqueParadoxe (apparent)

Les besoins radicaux émergent grâce à l'accélération du développement technique et au capitalisme qui permet de distinguer :

  • des besoins artificiels qui résulteraient d'une évolution technique historique lente

  • de ceux qui sont créés pour répondre au besoin de la croissance moderne.

Ingénierie des besoins

Susciter des nouveaux besoins artificiels suppose de :

  • inventer des objets ou des services nouveaux,

  • optimiser leur ergonomie pour en naturaliser l'usage : rationalisation du geste, accélération de la procédure, abstraction du coût économique, invisibilisation du coût matériel,

  • et d'accélérer le rythme de leur renouvellement.

Keucheyan, 2019

ExempleIngénierie des besoins

  • Les machines à sous de Las Vegas : fauteuil confortable, bouton simple d'usage, accès à la carte bancaire...

  • Le 1-Click d'Amazon

  • ...

Besoins et histoire

Les besoins sont dynamiques (historiquement constitués)

Les besoins ont tous une histoire, ils évoluent avec le temps.

Leur valuation évolue aussi : superflu versus authentique, insoutenable versus soutenable, aliénant versus autonomisant.

Exemple

  • J'ai besoin d'un médicament qui me maintien en vie, même si ce médicament a été inventé récemment.

  • J'ai besoin de pouvoir communiquer à distance rapidement et facilement pour entretenir mon réseau social.

  • Je n'ai pas besoin de vivre à proximité de mon lieu de travail car je dispose de modalités de transport rapides et disponibles.

  • je n'ai pas besoin de savoir réparer les objets que j'utilise car je peux facilement les remplacer.

Besoins et valeurs

FondamentalLes besoins renvoient à des valeurs

Le besoin est un fait du vivant (biologique) et en même temps le produit d'un choix de valeurs.

Guchet, 2022

De quoi avons nous besoin ?

André Gorz et Agnès Heller posent la question (Keucheyan, 2019) : « De quoi avons nous besoin ? »

  • Tous les besoins ne sont pas de même valeur ;

  • certains besoins sont néfastes pour la personne et/ou la société.

II est nécessaire d'évaluer les besoins car leur adressage technique est organisateur de l'environnement et des situations de vie.

FondamentalNotion de valeur construite et de processus de valuation

Il 'y a pas de valeurs pré-existantes dans le monde, mais :

  • des activités valuatrices effectuées par les êtres vivants,

  • qui permettent d'attribuer des valeurs aux situations, de façon constructiviste.

Guchet, 2022

Atarxie & co

Dans le lignée de l'ataraxie Épicurienne on souhaiterait séparer :

  • les bons besoins (radicaux, qualitatif, absolus, authentiques, nécessaires...)

  • des mauvais besoins (ce qui sont superflus et/ou nuisibles).

ExemplePistes pour évaluer les besoins

Qu'est-ce qu'un besoin authentique (Keucheyan, 2019) ?

  • un besoin dont dépend la survie de l'organisme (cf. Stephen Mac Leod, renvoie aux besoins naturels et nécessaires d'Épicure) ;

  • un besoin universel, c'est à dire que chaque humain peut expérimenter (cf. Agnès Heller, renvoie au caractère universel de l'impératif catégorique kantien, renvoie à la soutenabilité) ;

  • dont on est acteur, qui n'aliène pas (cf. Agnès Heller, renvoie à la convivialité d'Ivan Illich).

Attention

Nos besoins embarquent souvent plusieurs valeurs, qui peuvent être contradictoires.

Exemple

Je voyage pour :

  • me distraire,

  • prouver ma hiérarchie sociale,

  • me cultiver et m'ouvrir au monde,

  • ...

Complément

Décroissance

Croissance et impact environnemental

Je peux vous dire en tant que biologiste que toutes les courbes exponentielles que nous observons dans le monde végétal et dans le monde animal parmi les êtres vivants, finissent toujours extrêmement mal. Le cas où ça se passe moins mal, c'est lorsqu'il y a une stabilisation. (Jean Dorst, 1974).

Croissance : promesses et réalité (avec le Donut)

Rappel

A safe and just space for humanity to thrive in

RAWORTH, Kate, 2012. A safe and just space for humanity : can we live within the doughnut ? Oxfam Discussion Paper.

The Social Shortfall and Ecological Overshoot of Nations

Number of social thresholds achieved versus number of biophysical boundariestransgressed by countries over time, 1992–2015 (Fanning et al., 2022)

FANNING, Andrew, O’NEILL, Daniel, HICKEL, Jason et NICOLAS, Roux, 2022. The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability. 1 janvier 2022. Vol.5. DOI 10.1038/s41893-021-00799-z.

Critique du PIB (avec Timothée Parrique)

Compter...

Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, ce qui est compté ne compte pas forcément.

ExempleL'arbre

L'arbre n'a de valeur que lorsqu'il est coupé et vendu, mais sa propre production par la biosphère et les services qu'il rend durant sa vie (fabrication de l'oxygène, capture du carbone, rafraîchissement de l'air, stabilisation des sols, protection de la biodiversité, etc.) ne comptent pas.

Critique du PIB

e PIB mesure :

  • les biens et les services, mais pas leur répartition

  • les transactions marchandes, mais pas les liens sociaux

  • les valeurs monétaires, mais pas les volumes naturels

Exemple

L'introduction des engrais, pesticides et herbicides, a augmenté temporairement le rendement du travail agricole, mais ce au prix d'une perte de biodiversité, de fertilité des sols, et d'une mise à risque de la santé des travailleurs.

PIB et progrès

Le progrès technique n'est qu'illusoire si on l'augmentation de la productivité d'un facteur (marchand) se fait au détriment de la productivité d'un autre (non marchand).

Le travail domestique

Le travail domestique est « gratuit » :

  • il n'est pas mesuré par le PIB ;

  • il fait croître le PIB quand on le transfère (il génère donc une croissance artificielle).

Principe du découplage

Définition

Relative and absolute decoupling
Relative change in main global economic and environmental indicators (greenhouse gas, material footprint, gross domestic product)

Remarque

Si un découplage a bien été constaté en termes relatifs à lʼéchelle de la planète ou en termes absolus pour certaines régions du monde, au niveau mondial les émissions de CO2 et plus généralement de GES continuent à croître en valeur absolue.

Géraldine Thiry, 2023. Transitions : changer de regard(s) pour changer de système(s), Formation groupe UT, Luxeuil-les-bains.

Remarque

Considérer les GES est insuffisant (ce n'est qu'une partie du problème environnemental).

Critique du découplage

Un pari incertain

Full decoupling of economic growth and resource consumption may not be possible.

European Environment Agency. « Growth without Economic Growth ». Briefing, 2023. https://www.eea.europa.eu/publications/growth-without-economic-growth

DéfinitionEROI (Energy Return on Energy Invested ou Taux de retour énergétique)

Rapport entre la quantité d'énergie investie afin de rendre disponible une quantité d'énergie

Découplage improbable

  • L'augmentation des dépenses énergétiques : pas d'économie sans énergie, pas d'énergie sans matériaux ; aujourd'hui les EROI sont en baisse, donc la croissance est de plus en plus difficile

  • L'empreinte écologique des services : les services s'ajoutent et ne se substituent, les services ne sont pas sans support technique (le numérique n'est pas immatériel)

  • Les limites du recyclage : recycler à 90% (on est loin de ce taux en général), c'est perdre la moitié de la matière après 6 cycles

  • Les freins technologiques : inertie versus urgence (en France, entre 7 et 9 ans pour installer un parc éoliens, 15 ans pour une centrale nucléaire), empilement technologique (les ordinateurs n'ont pas remplacé le papier), espérance de résultats jamais observés (exemple de réduction de l'intensité carbone)

Complément

  • Les effets rebonds

Décroissance (avec Timothée Parrique)

Décroissance

Réduction de la production et de la consommation pour alléger l'empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.

Post-croissance

Économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble où les richesses sont équitablement partagées afin de prospérer sans croissance.

Complément

Revenu disponible par mois et par personne de (après contributions sociales) :

  • 1800€ en France

  • 1500€ dans l'Union Européenne

Source : Insee, 2021 

Fermeture

Fondamental

« Si nous ne parvenons pas à traduire les alertes climatiques et écologiques en actes concrets à la hauteur de ces enjeux, c'est parce que nous n'arrivons pas à "fermer les choses". »

Bonnet, Landivar, Monnin, 2021

Fondamental« Des tonnes d'affaires à régler »

Nous héritons d'un monde dont nous dépendons (organisations, modèles économiques, usines, logistique...), il faut reconnaître et accepter ces objets y compris dans leur dimension négative (en hériter) pour rompre avec eux (s'en détacher, y renoncer, les fermer).

DéfinitionHéritage

Hériter ne signifie pas suspendre ni rompre brutalement, mais gérer dans un contexte de deuil, « comme on hérite d'une responsabilité sans l'avoir choisie » (Bonnet, Landivar, Monnin, 2021).

  • L'héritage est d'abord une continuité (et ce n'est pas un choix).

  • L'héritage est un deuil.

  • L'héritage est une charge.

  • L'héritage est une responsabilité.

DéfinitionFermeture

Organiser la fin de la création, de la production et de l'usage de certaines technologies via la mise en place de stratégies de sobriété, voire de peurs ou d'interdits (tabous).

Remarque

La fermeture s'oppose à l'ouverture qui est le moteur de notre trajectoire de développement, le paradigme ultra-dominant de l’économie et de l'ingénierie.

Héritage et fermeture

AttentionCe sont des projets difficiles

  • Il y a peu de compétences techniques de la fermeture (les ingénieurs sont des ingénieurs de l'ouverture et non de la fermeture).

  • Il y a une représentation négative des métiers de la fermeture (démolisseurs, éboueurs...).

  • La question de la fermeture est toujours systémique (un hypermarché fait vivre 1500 familles).

Ruines ruinées et ruines ruineuses

  • Ruine ruinée : ruines de fait, visibles, vieilles, détruites, qu'il faut gérer comme déchets (ex : usines désaffectées)

  • Ruine ruineuse : ruines en puissance, qui peuvent être flambantes neuves, qui coûtent (qui ruine) au niveau écologique (ex : aviation) souvent de façon systémique (ex : chaînes logistiques).

L'objectif premier de la fermeture est transformer les ruines ruineuses en ruines ruinées par la rupture des relations de dépendance à ces technologies.

Exercice

  • En quoi les besoins humains sont-ils artificiels ?

  • En quoi la décroissance est-elle souhaitable ?

  • En quoi la décroissance implique-t-elle la fermeture ?

Garandel, 2010

Garandel Pascal. 2010. Epicure, désirs et besoins. garandel.e-monsite.com.

Douriez, 2023

Douriez Benjamin. 2023. L'aspirateur balai, un gâchis écologique. in Reporterre. https://reporterre.net/L-aspirateur-balai-un-gachis-ecologique.

Salomon and Jedliczka, 2015

Salomon Thierry, Jedliczka Marc. 2015. Le Manifeste négaWatt. Actes Sud. https://negawatt.org/Manifeste-negawatt.

Keucheyan, 2019

Keucheyan Razmig. 2019. Les besoins artificiels : comment sortir du consumérisme. Éditions La Découverte. https://www.editionsladecouverte.fr/les_besoins_artificiels-9782355221262.

Guchet, 2022

Guchet Xavier. 2022. Du soin dans la technique : Question philosophiqueDu soin dans la technique. ISTE Group.

Raworth, 2012

Raworth Kate. 2012. A safe and just space for humanity : can we live within the doughnut ?. Oxfam Discussion Paper.

Ataraxie

Tetrapharmakon (quadruple remède)

Épicure propose une méthode pour accéder au bonheur :

  • Les dieux ne sont pas à craindre (ils ne s'occupent pas des humains).

  • Ne vous inquiétez pas de la mort (quand on est mort on ne sent plus rien).

  • La souffrance est facile à supporter (en général elle ne dure pas ou bien on en meut).

  • Le bonheur est facile à obtenir : il suffit de gérer ses désirs pour atteindre (ou se rapprocher de) l'ataraxie.

DéfinitionAtaraxie

Épicure définissait l'ataraxie comme un état d'absence de trouble et proposait pour rechercher cet état une hiérarchie des plaisirs fondée sur une priorisation des besoins (ne satisfaire que les besoins nécessaires) et sur la modération (l'excès n'est jamais nécessaire).

Hiérarchie des besoins
Ataraxie
RemarqueBesoins non naturels et nécessaires

Cette catégorie ne fait pas partie de la typologie d'Épicure, elle y a pourtant toute sa place et est peut-être la catégorie centrale dans le cadre de l'articulation avec la lowtechisation.

Construire une lance pour chasser n'est pas naturel, un foyer pour se chauffer non plus, c'est pourtant nécessaire à l'humain. Le non-naturel relève fondamentalement du technique. Or le technique ne peut pas être toujours non-nécessaire puisqu'il est fondateur de l'être humain.

ComplémentRationalisation de la recherche du bonheur

« Pour Epicure, le quatrième remède est donc la maîtrise rationnelle des désirs, qui est à la fois éducation et dressage. »

  • « Éducation, dans la mesure où les raison d'être de cette maîtrise doivent être méditées et comprises par l'individu lui-même pour que la méthode soit efficace. [...] »

  • « Dressage, puisque si c'est par l'habitude qu'un désir devient besoin et crée la dépendance, c'est également en prenant l'habitude de ne satisfaire que nos désirs naturels et nécessaires que nous cesserons de désirer les autres. »

Garandel, 2010

ComplémentDémarche individuelle (expression de la liberté)

« La philosophie n'est pas un médicament que l'on peut inoculer à autrui contre son gré ! ("Apprends donc à te satisfaire de la satisfaction de tes besoins" ne semble pas pouvoir rendre quelqu'un heureux... tant qu'il ne saisit pas la sagesse de la formule. »

Garandel, 2010

ComplémentRecherche d'indépendance (condition de la possibilité de choisir)

« Rien ne vous interdit, bien sûr, de dormir de temps à autre dans un lit matelassé... tant que vous n'en "faites pas une habitude", au sens propre. Rien ne vous interdit de boire cet excellent vin que l'on vous propose... tant que ceci ne vous conduit pas à désirer en boire là même où nul n'est susceptible de vous en proposer. »

Garandel, 2010

Le découplage : une solution à la crise climatique ?

Introduction

Face à la tension entre les impacts environnementaux de l'activité économique d'une part, et la contrainte de croissance économique de l'autre, un concept s'est progressivement imposé dans le débat public et scientifique, celui de découplage. Celui-ci renvoie :

  • à la capacité de réduire le besoin en ressources en amont de l'activité économique,

  • et à la capacité de réduction des impacts de celle-ci sur l'environnement et les écosystèmes en aval, dus notamment à différents types de pollution, dont les gaz à effet de serre (responsables du changement climatique) sont les plus connus.

Découpler, c'est donc dématérialiser l'activité économique. Le numérique, vu à tort ou à raison comme propre et en partie immatériel, fait l'objet de nombreux espoirs pour réaliser les ambitions de découplage, dans la mesure où développer la part des services numériques dans de nombreux secteurs d'activité est censé réduire leur matérialité.

Cependant, la notion même de découplage fait débat. L'objectif de cette fiche est de présenter succinctement les raisons de ce débat et les éléments scientifiques permettant d'évaluer la réalité et l'étendue des possibilités de découplage.

Constats et définitions

Le lien entre croissance de l'activité économique, usage des ressources et dommages environnementaux est bien établi, même si des incertitudes variées demeurent dans certains domaines.

La croissance économique est caractérisée par le Produit Intérieur Brut (PIB), évalué à l'échelle des différents pays, et agrégé au niveau mondial pour définir un PIB global. Ce PIB mesure la valeur monétaire de l'ensemble des échanges de biens et services effectués en une année.

Les prélèvements de ressources se mesurent en quantité produites sur un an (par exemple, tonnes de métaux par an, barils de pétrole par an, etc).

La mesure des impacts environnementaux est plus difficile, et elle est souvent remplacée par une mesure de pression (par exemple, la pression mesurée en tonne de pesticides par an, est utilisée à la place des impacts produits par les pesticides en question sur la biodiversité et la santé humaine, beaucoup plus difficiles à quantifier, même si l'existence de ces impacts est établie).

L'exemple le plus connu de couplage entre économie et usage des ressources concerne le lien entre PIB et usage des combustibles fossiles. La figure (a) illustre ce point via la corrélation entre PIB et énergie primaire, sachant que les ¾ de l'énergie primaire mondiale proviennent des combustibles fossiles.

L'exemple le plus connu de couplage entre économie et impacts est celui de la corrélation similaire existant entre PIB et émissions de gaz carbonique (non montré, la courbe est similaire).

La notion de découplage est quant à elle abordée selon deux angles :

  • On distingue le découplage par rapport aux ressources du découplage par rapport aux impacts. Selon les cas, en effet, le point critique se situe plutôt en amont (ressources) ou en aval (impact) des échanges économiques. Par exemple, les ressources non renouvelables (combustibles fossiles, ressources minérales diverses) ont une tendance inéluctable à s'épuiser sur le long terme, même si les progrès de la technologie permettent de compenser la perte de qualité ou la difficulté accrue d'exploitation des ressources restantes sur un temps plus ou moins long. La question de la disponibilité des ressources non renouvelables est donc inévitable à terme. À l'autre bout de la chaîne, les pollutions toxiques diverses peuvent s'accumuler beaucoup plus vite que les ressources non renouvelables nécessaires à leur production ne se raréfient ; dans ce cas, les impacts représentent le facteur le plus critique du problème.

  • On parle de découplage relatif lorsque l'usage de la quantité d'intérêt (par exemple, l'énergie primaire) couplée à l'économie croît moins vite que l'économie elle-même.

  • On parle de découplage absolu lorsque l'usage de cette quantité d'intérêt décroît dans l'absolu alors que l'économie croît.

L'exemple le plus connu de découplage relatif porte sur la décroissance de l'intensité carbone de l'économie au niveau mondial, illustré sur la figure (b) : la quantité de combustibles fossiles nécessaire par point (pourcent) de PIB décroît avec le temps d'environ 1 % par an en tendance de long terme, et la quantité de CO2 émise décroît à un rythme similaire, comme le montre la figure. Cette modeste diminution se traduit par une légère augmentation de la pente de la courbe de la figure (a). Un découplage absolu se traduirait lui par une inversion de pente : décroissance de l'énergie primaire fossile alors que le PIB continuerait de croître. La seule période historique où un découplage absolu de ce type a été observé au niveau global correspond au second choc pétrolier de la fin des années 1970 et n'a duré que quelques années.

Ce léger découplage relatif de long terme de 1 %/an est dû à différents facteurs, notamment les gains d'efficacité énergétique dans le secteur productif (secteurs primaire et secondaire), et la croissance du poids des services et de la finance (secteur tertiaire) dans l'économie mondiale, ces activités étant par nature moins intensives en énergie.

(a) Corrélation entre PIB et utilisation d'énergie primaire ; (b) Évolution de l'intensité carbone moyenne de l'économie. L'efficacité carbone moyenne du PIB décroît d'environ 1%/an depuis une cinquantaine d'années.
Découplage relatif et absolu : état des lieux

La raréfaction des ressources non renouvelables de même que l'accumulation de pollutions dans l'environnement sont des phénomènes inéluctablement liés à l'activité humaine, et les tendances actuelles ne sont pas durables. Il n'existe donc qu'une alternative : soit réduire l'activité humaine, essentiellement l'activité économique, soit parvenir à un découplage absolu entre PIB et usage des ressources d'une part, et PIB et impacts environnementaux et sanitaires de l'autre. Le premier terme de l'alternative (réduire l'activité économique) n'est pas considéré comme acceptable par la plupart des responsables politiques et économiques, ce qui fait du découplage la seule option réellement discutée. Sans porter de jugement de valeur sur ce point, il convient néanmoins de noter que cette position normative s'accompagne immanquablement d'une absence d'évaluation des possibilités réelles de découplage absolu dans le discours public.

Dans cette section, certains éléments d'information sur la faisabilité d'un tel découplage sont brièvement passés en revue. La discussion est limitée au découplage entre PIB et émissions de gaz à effet de serre pour des raisons de longueur. Ce découplage est le mieux connu et le plus discuté ; viennent ensuite, par ordre décroissant d'information, les questions de ressources matérielles, notamment minières, puis finalement les questions de pollution, très mal quantifiées. Le lecteur intéressé pourra à ce sujet se reporter à deux études critiques récentes et fouillées portant sur l'ensemble des problèmes liés à la question du découplage (Vadén et al., 2020 et Parrique et al., 2019).

Les tendances des deux dernières décennies des pays de l'OCDE et de l'Union Européenne en particulier sont a priori positives. Les émissions de CO2 stagnent ou diminuent par habitant depuis une dizaine ou une quinzaine d'années (Wood et al., 2019). Cette évolution est due à plusieurs facteurs : outre les gains tendanciels du secteur productif (intra-OCDE, mais également en ce qui concerne les importations de produits finis asiatiques), les taux d'équipement en biens individuels et en équipements collectifs structurels (notamment réseaux et bâtiments) saturent, la croissance économique est en général faible dans ces pays, et largement portée par la croissance des services, dont l'intensité carbone est plus faible que celle des secteurs productifs.

Pour autant, ces tendances sont très difficilement généralisables à l'ensemble de l'économie mondiale. Le poids tendanciel est porté par les économies émergentes, la Chine au premier chef. Celle-ci est encore loin d'avoir atteint la saturation d'équipements individuels et collectifs caractérisant les pays développés. De plus, découpler le PIB de l'énergie primaire au-delà de l'évolution tendancielle de 1% par an mentionnée plus haut est extrêmement difficile sur le long terme. De ce point de vue, il est en pratique impossible de limiter le réchauffement climatique à 2°C par des gains d'efficacité énergétique de ce type dans le temps qui nous reste (vingt à trente ans (Figueres et al., 2017 et Masson-Delmotte et al., 2021)) : avec un PIB mondial en croissance de 2% par an, il faudrait réaliser des gains d'efficacité énergétique de l'ordre d'environ 5 à 7% par an, chiffre qui ignore par ailleurs les inévitables effets rebond (Voir la fiche concept L'effet rebond pour plus de détail) qui accompagneraient de tels gains.

La seule option pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement climatique est de décarboner l'économie, et donc de généraliser à marche forcée la transition aux énergies renouvelables. La possibilité d'une telle transition n'est cependant pas démontrée de façon crédible à ce jour, tant en terme de déploiement (Heard et al., 2017 et Smil, 2016) que d'accessibilité aux ressources, les énergies renouvelables nécessitant considérablement plus de métaux que les énergies fossiles pour une production énergétique donnée (Vidal, 2018). Les problèmes discutés dans les trois dernières références portent exclusivement sur des problématiques de rythme de déploiement technologique et d'accessibilité aux ressources dans lesquels le numérique ne joue essentiellement aucun rôle. En conséquence, le numérique n'a qu'une influence marginale sur la problématique du découplage absolu, et un rôle au mieux ambigu et pour l'instant globalement négatif sur la problématique du découplage relatif (l'augmentation du rôle du numérique dans l'économie de service se traduit par une augmentation des impacts directs, indirects et systémiques du numérique ; voir la fiche concept L'effet rebond et la fiche concept Qu'est ce que l'effet d'accélération ?.

Vadén et al., 2020

T. Vadén, V. Lähde, A. Majava, P. Järvensivu, T. Toivanen, J. T. Eronen. Raising the bar: on the type, size and timeline of a 'successful' decoupling. Environmental Politics [en ligne], 2020, voL 30, n°3. Disponible sur abonnement sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Parrique et al., 2019

T. Parrique, J. Barth, F. Briens, C. Kerschner, A. Kraus-Polk, A. Kuokkanen, J. H. Spangenberg. Decoupling debunked: Evidence and arguments against green growth as a sole strategy for sustainability [en ligne]. European Environmental Bureau, 2019. Disponible sur le site de l'EEB [13/09/2021]

Wood et al., 2019

R. Wood, D. D. Moran, J. F. D. Rodrigues, K. Stadler. Variation in trends of consumption based carbon accounts [en ligne]. Scientific Data, 2019, vol. 6, article 99. Disponible sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Figueres et al., 2017

C. Figueres, H. J. Schnellhuber, G. Whiteman, J. Rockström, S. Rajmstorf. Three years to safeguard our climate [en ligne]. Nature, 2017, 546, 593–59. Accessible sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Masson-Delmotte et al., 2021

V. Masson-Delmotte, P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M.Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, B. Zhou (eds.) IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press. Version approuvée disponible [27/02/2022]

Estimation

Cette estimation résulte de la réduction annuelle nécessaire pour atteindre zéro émissions, à laquelle il convient d'ajouter le surcroit d'émissions dû aux 2% de croissance mondiale annuelle. Ce chiffre ignore volontairement la possibilité de séquestration ultérieure du carbone, nécessaire dans les scénarios volontaristes de réductions des émissions. Ces techniques sont malheureusement très coûteuses tant économiquement qu'énergétiquement, partiellement inefficaces du fait des émissions de méthane négligées, et toujours non réalisables à échelle industrielle malgré les budgets considérables alloués à leur développement (Wikipedia, Carbon capture and storage).

Effet rebond

L'effet rebond désigne la propension de l'activité économique à augmenter l'usage d'une ressource ou la diffusion d'un produit lorsque des gains d'efficacité dans l'usage de la ressource sont réalisés par unité de production du produit.

L'effet rebond
Introduction

Les solutions visant à réduire nos impacts environnementaux peuvent s'appuyer sur deux dimensions :

  • la dimension technologique dans les démarches d'amélioration de l'efficacité (suivant le contexte on parle aussi d'efficience) qui rend les usages plus économes en ressources et moins émissifs en pollution, sans les remettre en cause. Il s'agit de « faire la même chose, voire plus, avec moins », c'est-à-dire de réduire la consommation « unitaire » de nos usages.

  • la dimension des usages dans les démarches de sobriété dans lesquelles il s'agit de « faire moins avec moins ».

Par exemple, la réduction de la consommation de carburant aux 100 km d'une automobile relève de la première dimension, alors que la réduction du kilométrage annuel relève de la seconde. L'effet rebond annule une partie voire la totalité des bénéfices environnementaux obtenus sur une des dimensions du fait d'effets « secondaires » sur l'autre dimension : améliorer les performances en terme de consommation d'un véhicule peut conduire à une « intensification » de son usage (augmentation du kilométrage annuel, de la vitesse moyenne, etc.).

Qu'est-ce que l'effet rebond ?

Une technologie plus efficace a tendance à être plus utilisée, par exemple à cause de la baisse des coûts d'utilisation. C'était déjà le constat que faisait W.S. Jevons pendant la révolution industrielle en Angleterre au XIXe siècle à propos des progrès d'efficacité énergétique de la machine à vapeur : ceux-ci avaient en effet conduit à une augmentation de la demande en charbon et non à l'inverse. Cette situation est appelée effet rebond (plus exactement effet rebond direct), ou paradoxe de Jevons en référence à cet exemple historique du charbon. Un exemple typique d'effet rebond est le trafic induit : une infrastructure de transport plus efficace peut causer une augmentation de la demande, c'est-à-dire du trafic routier. Ce phénomène empêche de résoudre les problèmes de congestion par simple augmentation des capacités routières.

L'exemple de la Katy Freeway à Houston : malgré ses 26 voies elle n'a pas permis de résoudre les problèmes de congestion à cause du trafic induit

Les exemples d'effet rebond dans le secteur du numérique sont nombreux (Flipo et Gossart, 2009) : depuis Eniac (le premier ordinateur entièrement électronique) la miniaturisation a rendu possible l'explosion du nombre d'objets électroniques (Gossart, 2014) (ordinateurs personnels, smartphones, objets connectés, etc.), les améliorations d'efficacité énergétique des réseaux de transmission combinées à celles des débits et des capacités de stockage ont permis l'explosion du trafic de données (Bol et al., 2021), etc.

Les effets rebond indirects

On parle d'effet rebond indirect lorsque des économies réalisées dans un domaine génèrent de la consommation dans un autre (Gossart, 2014). Ainsi une démarche de sobriété peut aussi être source d'effets rebond, du fait des économies réalisées qui sont réinvesties (qu'elles soient monétaires ou temporelles), ou du fait de leur effet déculpabilisant sur la consommation d'autres produits (Schneider, 2009). Par exemple remplacer la voiture par le vélo dans les déplacements quotidiens permet de faire des économies qui peuvent être utilisées pour réaliser des voyages lointains en avion pendant les vacances, ce qui annule les bénéfices environnementaux liés à l'usage du vélo.

Les causes de l'effet rebond

L'effet rebond peut se produire lorsqu'une ou plusieurs limites à l'usage et/ou à la production sont repoussées (Schneider, 2009). Ces limites peuvent être économiques, physiques, techniques, psychologiques, sociologiques, réglementaires, etc. À l'échelle macro-économique, l'effet rebond se traduit par une augmentation de l'activité économique, si bien qu'il empêche le découplage (absolu) entre croissance et impacts environnementaux (Brockway et al., 2021). L'effet rebond ne s'explique pas uniquement comme résultant de la somme des comportement individuels, il a aussi des origines plus structurelles dans les politiques de croissance (Schneider, 2009), les stratégies commerciales, l'effet des marchés et de la financiarisation, les normes sociales, techniques, et réglementaires (Wallenborn, 2018).

Mesurer et prévoir l'effet rebond

L'ampleur de l'effet rebond est définie comme la part des gains potentiels qui est annulée par l'augmentation de l'usage, et on parle de backfire lorsque celle-ci excède 100% c'est-à-dire lorsque les gains potentiels sont plus que contrebalancés par les effets négatifs. Prévoir cette ampleur est utile pour anticiper la réalité des gains qu'on peut espérer d'une solution, mais cela reste (très) difficile. L'approche courante pour y parvenir fait appel à des modélisations économiques qui ne sont pas conçues pour rendre compte de changements sociétaux profonds (Briens , 2015) (or ce sont d'eux dont nous avons probablement besoin, par exemple pour décarboner nos économies).

Pour comprendre et prévoir l'effet rebond, étudier les tendances historiques se révèle aussi très utile. Elles nous montrent par exemple que l'optimisation continue des infrastructures et des équipements numériques ne permet pas de compenser l'accroissement des usages, si bien que l'empreinte carbone globale de nos réseaux, de nos centres de données, et de nos équipements terminaux tend à augmenter (Bol et al., 2021). Plus généralement l'histoire des techniques nous montre comment les usages s'empilent et se complémentent plus qu'ils ne se substituent (Fressoz, 2021).

Quand peut-on s'attendre à un effet rebond ?

L'effet rebond risque de se manifester dans les solutions de type « gagnant-gagnant », plus particulièrement celles qui :

  • conduisent à des gains d'argent, de temps (effets d'accélération), d'espace (miniaturisation)

  • apportent de nouvelles fonctionnalités (génératrices de nouveaux usages)

  • incitent à plus d'usage par des performances ou un confort d'utilisation accrus.

Comment limiter l'effet rebond ?
  • sensibiliser à l'effet rebond, inciter à conscientiser les intentions (sont-elles écologiques ? économiques ?)

  • penser de façon systémique et à des échelles larges (donc à l'échelle collective plutôt qu'individuelle)

  • favoriser les solutions « low-tech » (car elles évitent en général de générer de nouveaux besoins)

  • flécher les budgets économisés (en argent ou en temps) vers d'autres améliorations environnementales pour lutter contre les effets rebond indirects.

Flipo et Gossart, 2009

Fabrice Flipo, Cédric Gossart. Infrastructure numérique et environnement : l'impossible domestication de l'effet rebond. [en ligne]. Terminal. Technologie de l'information, culture & société, 2009. Disponible sur Hal [28/01/2022]

Gossart, 2014

Cédric Gossart. Rebound effects and ICT: a review of the literature. ICT Innovations for Sustainability, 2014. Disponible sur hal [28/01/2022]

Bol et al., 2021

David Bol, Thibault Pirson, Rémi Dekimpe. Moore's Law and ICT Innovation in the Anthropocene [en ligne]. IEEE Design, Automation and Test in Europe Conference, 2021. Disponible sur le site de l'Université de Louvain [28/01/2022]

Schneider, 2009

François Schneider. Sur l'importance de la décroissance des capacités de production et de consommation dans le Nord Global pour éviter l'Effet Rebond [en ligne]. La décroissance économique pour la soutenabilité écologique et l'équité sociale, Mylondo (Ed), Recherche et Décroissance, Collection Ecologica, Editions du Croquant, 2009. Disponible le site [28/01/2022]

Brockway et al., 2021

Paul Brockway, Steve Sorrell, Gregor Semieniuk, Matthew Kuperus Heun, Victor Court. Energy efficiency and economy-wide rebound effects: A review of the evidence and its implications. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2021. Disponible sur hal [28/01/2022]

Wallenborn, 2018

Grégoire Wallenborn. Rebounds Are Structural Effects of Infrastructures and Markets. Frontiers in Energy, 2018. Disponible sur le site du journal [28/01/2022]

Briens , 2015

La section 2.3 du chapitre 2 de la thèse de François Briens (p. 81) décrit plus en détail les limites des modélisations économiques usuelles en présence de ruptures profondes. Cette thèse est disponible sur la base de thèse en ligne [23/07/2021]

Fressoz, 2021

Jean-Baptiste Fressoz. Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles. Annales des mines, série responsabilité et environnement, 2021. Disponible sur hal [28/01/2022]

Généralisation du nucléaire

La généralisation du nucléaire au niveau mondial comme source d'énergie soulève des problèmes de rythme, de coût et d'abondance de la ressource, de stockage des déchets et de prolifération des armes nucléaires, et la fusion nucléaire n'est toujours pas opérationnelle malgré plus d'un demi-siècle de recherche et développement.

Heard et al., 2017

B. P. Heard, B. W. Brook, T. M. L. Wigley, C. J. A. Bradshaw. Burden of proof: A comprehensive review of the feasibility of 100% renewable-electricity systems. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2017, 76** : 1122.

Smil, 2016

V. Smil. Examining energy transitions : A dozen insights based on performance. Energy research and social science, 2016, 22, 194 : 197

Vidal, 2018

O. Vidal. Matières premières et énergie : les enjeux de demain. ISTE Editions, 2018.

Qu'est-ce que l'effet d'accélération ?
Introduction

L'une des caractéristiques de la révolution industrielle sur les deux derniers siècles est un accroissement considérable et continu de l'usage des ressources naturelles et des pollutions. Récemment le terme de « Grande Accélération » a été introduit pour désigner l'ampleur spectaculaire atteinte par ce phénomène depuis la deuxième moitié du XXe siècle (Steffen et al., 2015), tant en ce qui concerne le prélèvement des ressources (métaux et énergies fossiles, mais également biomasse, ressources en eau, etc) que les impacts environnementaux associés (déforestation, dégradation des sols, perte de biodiversité, pollutions diffuses diverses et toxiques, etc), comme le montre la première figure. Ces prélèvements et impacts sont liés à l'augmentation de la population et de ses besoins par habitant, et leur traduction dans toutes les sphères de production de biens et de services économiques (cf deuxième figure).

Évolution de différents indicateurs du système Terre sur la période longue de la révolution industrielle (1750-présent)
Tendances socio-économiques sous-tendant les évolutions représentées sur la période longue de la révolution industrielle (1750-présent)

Les données et les figures originales proviennent de l'article de Steffen et al. (2015). L'adaptation française est due à Servigne et Stevens (2015).

C'est dans ce contexte de dégradation généralisée des écosystèmes et des ressources naturelles que l'on entend fréquemment parler d'une synergie possible entre transition écologique et transition numérique, notamment dans le discours public, comme par exemple dans le cadre de la récente « Feuille de route numérique et environnement » du gouvernement français. La présente note vise à examiner de façon critique les angles morts de cette idée.

Numérique et Grande Accélération

La notion de synergie entre transition numérique et transition écologique est problématique au niveau même de sa formulation. En effet, la juxtaposition de ces deux "transitions" suggère que le fait numérique est encore émergent, puisque la transition écologique n'est elle pas encore en chemin. Ce faisant, cette juxtaposition vise à mettre sur le même plan un futur du numérique et un futur de l'environnement, le futur environnemental souhaité étant la préservation du climat, de la biodiversité et plus généralement de toutes les composantes de notre environnement, et le futur numérique reposant lui sur la généralisation de la virtualisation, notamment via la 5G dont la puissance attendue présuppose une révolution des usages.

Ce rapprochement est en soi étrange : dans un cas (l'environnement), le futur souhaité est un renversement de tendance, dans l'autre (le numérique), au contraire, une accélération, ce qui suppose au minimum une absence de liens de causalité entre ces deux dynamiques (accélération du numérique et de la destruction environnementale). Un examen de l'histoire récente ouvre une première brèche critique dans ce présupposé. Dans les faits le numérique est constitué d'un ensemble de technologies qui nous accompagnent sous forme mature depuis plusieurs décennies, et la 5G n'est qu'une étape supplémentaire dans ce processus. Le calcul numérique émerge au moins dans le secteur de la recherche depuis les années 1970 (et antérieurement dans le domaine militaire) ; les ordinateurs individuels puis portables depuis le milieu ou la fin des années 1980 (le premier MacIntosh date de 1984) ; Internet est commercial depuis 1995 et a pénétré dans toutes les sphères de l'activité privée et de l'activité économique à une vitesse probablement inégalée dans le passé ; les téléphones portables existent depuis les années 1980 et l'invention des batteries Lithium-Ion au début des années 1990 couplée à la montée en puissance des réseaux de télécommunications sans fil a permis la démocratisation et l'explosion de la vague actuelle de smartphones depuis le tournant du siècle.

En bref, la seule tendance historiquement visible est une évolution parallèle de la Grande Accélération et du développement des technologies numériques et sans fil. Plus précisément, les deux dernières décennies au moins sont caractérisées par une forte corrélation entre la part des technologies de l'information et de la communication dans le PIB et le PIB lui-même, sans infléchissement notable de l'intensité carbone du PIB, ou de son intensité matière (Lange et al., 2020). Si le numérique avait les vertus qu'on lui prête au niveau espéré, on aurait déjà dû en voir les effets au moins sur ces deux indicateurs (Roussilhe, 2021).

Cet argument souligne sur le passé récent à la fois une corrélation entre numérique et économie, mais également une causalité qui va à l'encontre de l'effet recherché : en effet ces éléments indiquent, bien que de façon indirecte, que le numérique contribue à l'accélération de l'économie et de ses impacts. Ces remarques interrogent donc directement la logique qui sous-tend le rapprochement impliqué par cette supposée synergie pour le futur, même en laissant de côté la notion de transition.

Pour aller plus loin dans cette analyse, il convient d'interroger plus directement et de façon plus précise les liens de causalité dont on vient de donner quelques indices indirects. Cette interrogation porte sur deux points : les impacts environnementaux directs du numérique, et le rôle du numérique dans les autres secteurs d'activité économique, notamment son rôle systémique. Les impacts directs du numérique, de même que les effets rebonds associés à celui-ci sont de plus en plus documentés dans la littérature (Groupe EcoInfo, 2013 - Longaretti et Berthoud, 2021, par exemple) et le lecteur est renvoyé à celle-ci, de même qu'à la fiche concept sur la question (voir la fiche concept L'effet rebond). Mais il ne s'agit là que de la pointe émergée de l'iceberg. La problématique des effets systémiques est beaucoup plus importante, mais également plus délicate à quantifier et moins bien connue, tant en termes de recherche que dans le grand public. Néanmoins, même un examen superficiel de la question montre que le numérique agit comme accélérateur de la Grande Accélération, en accord avec les indices indirects donnés plus haut.

En effet, cette accélération est un symptôme du consumérisme, dont l'une des grandes caractéristiques est l'accélération permanente de la production, de la circulation et de la mise au rebut des marchandises (parfois via leur obsolescence programmée). Il est clair que le numérique est, dans ses applications industrielles et commerciales, au service de cette accélération, qu'il s'agisse d'automatisation des process de fabrication, d'optimisation de la logistique à flux tendu, ou de publicité et vente ciblées, pour ne citer que quelques exemples connus mais irréalisables sans outil et applications numériques dédiées (Longaretti et Berthoud, 2021 - Flipo, 2020). Dans un tel monde les opérateurs de "Big Data" et de services associés jouent un rôle considérable. D'innombrables applications existent dans toutes les sphères de l'industrie, de l'économie des biens et des services, de la banque et de la finance, avec comme seul objectif cette accélération permanente de la production, de la consommation, des chiffres d'affaires et des profits. Le numérique n'est donc pas seulement les objets et les logiciels, mais aussi le rôle qu'il joue de façon diffuse dans l'ensemble de l'économie et de la société (et la définition de son périmètre, y compris en terme de poids dans le PIB, n'est pas simple) (Flipo, 2020). Lorsqu'une préoccupation environnementale (ou sociale) intervient, c'est soit sous la contrainte du législateur (qui génère toute une ingénierie d'évitement, les délocalisations n'en étant que l'aspect le plus connu), soit parce qu'elle permet de réduire les coûts de production (par exemple en réduisant la facture énergétique). De fait, le numérique est omniprésent dans la sphère économique mais son rôle est largement invisibilisé, les applications dédiées n'étant connues que des praticiens de chacun des segments très spécialisés et éclatés de l'économie financière et marchande moderne.

En fait pour inverser cette tendance lourde, il faudrait revenir sur les motivations sous-jacentes, à savoir le fondement consumériste et accumulateur des économies développées. Cette remise en cause est extrêmement difficile : elle est inscrite depuis maintenant deux siècles dans les fondements sociaux et institutionnels des États-nations, au moins en occident. C'est d'ailleurs précisément du fait de cette difficulté que la notion de découplage (entre croissance économique, usage des ressources et impacts environnementaux) est elle aussi de plus en plus souvent mobilisée dans le discours public, le numérique étant perçu dans cette perspective comme un moyen au service de ce découplage. Mais il s'agit là aussi d'un concept à portée opératoire très limitée (le lecteur est renvoyé à la fiche concept "Découplage : une solution à la crise climatique ?" pour plus de détails sur cette notion et ses limites).

Grande Accélération

L'expression (great acceleration en anglais) fait référence au célèbre ouvrage de Karl Polanyi, La Grande Transformation (The Great Transformation en anglais) qui décrit, à partir de l'exemple de l'Angleterre, l'émergence et la construction au cours des XIXe et XXe siècles de la « société de marché », à savoir une société dont le marché dans sa version capitaliste est le fait structurant par opposition aux sociétés antérieures où les échanges marchands ne sont qu'un aspect non central des rapports sociaux.

Steffen et al., 2015

W. Steffen, W. Broadgate, L. Deutsch, O. Gaffney, C. Ludwig. The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration. The Anthropocene Review, 2015, 2(1), pp 81-98. Disponible sur le site de l'éditeur sur abonnement [13/09/2021]

Servigne et Stevens, 2015

P. Servigne, R. Stevens. Comment tout peut s'effondrer. Editions du Seuil, 2015.

Produit Intérieur Brut (PIB)

Le Produit Intérieur Brut ou PIB mesure la valeur monétaire de l'ensemble des biens et services échangés en une année sur un territoire, en général un État.

Intensité matière

La notion d'intensité renvoie à un rapport entre deux quantités, en l'occurrence, les émissions de carbone par point de PIB pour l'intensité carbone du PIB.

Lange et al., 2020

S. Lange, J. Pohl, T. Santarius. Digitalization and energy consumption. Does ICT reduce energy demand? Ecological Economics, 2020, 176. Disponible en ligne sur le site de l'éditeur sur abonnement [21/06/2021]

Roussilhe, 2021

G. Roussilhe. Que peut le numérique pour la transition écologique ? [en ligne], 2021. Disponible sur le site de l'auteur [21/06/2021]

Rôle systémique du numérique

On parle de rôle systémique du numérique pour décrire son influence à la fois généralisée (dans tous les secteurs) et universelle (sur toute la planète). Cette caractérisation renvoie aussi à l'existence de circuits causaux génériques et eux-mêmes généralisés et universels, dont la description dépasse largement le cadre de cette note ; certains de ces circuits (voire une majorité) sont très peu voire pas du tout connus, dans l'état actuel de la recherche sur ces questions.

Groupe EcoInfo, 2013

Groupe EcoInfo. Impacts écologiques des technologies de l'information et de la communication. EDP Sciences, 2013

Longaretti et Berthoud, 2021

P-Y. Longaretti, F. Berthoud. Le numérique, espoir pour la transition écologique ? L'économie politique, 2021, 90, pp. 8-22. Disponible sur Hal [21/06/2021]

Flipo, 2020

F. Flipo. L'impératif de la sobriété numérique. L'enjeu des modes de vie. Editions Matériologiques, 2020.

Ingénierie et décroissance

La croissance de quoi ?

« La croissance vraie ne pose aucun problème : l'amour, la créativité, l'entraide, la connaissance, les explorations artistiques et scientifiques peuvent évidemment croître. [...] Mais la production délirante d'objets inutiles, devenus une fin et non plus un moyen, doit être nommée pour ce qu'elle est : une maladie. »

Barrau and Guilbaud, 2022

À quelles fins ?

« Disposer d'une source d'énergie presque inépuisable et essentiellement propre - par exemple la fusion nucléaire (projet ITER) - constituerait vraisemblablement la pire catastrophe possible. [...] En effet le véritable problème réside dans ce que nous faisons de l'énergie, pas dans son origine. L'énergie est en grande partie utilisée pour détruire les conditions d’habitabilité de la planète. Que la forêt soit rasée avec une énergie propre ou non est secondaire si elle est in fine rasée... »

Barrau and Guilbaud, 2022

Barrau and Guilbaud, 2022

Barrau Aurélien, Guilbaud Caroline. 2022. Il faut une révolution politique, poétique et philosophique. Éditions Zulma.

Bonnet, Landivar, Monnin, 2021

Bonnet Emmanuel, Landivar Diego, Monnin Alexandre. 2021. Crise climatique : « Nous devons apprendre à désinnover »Crise climatique. in Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/03/crise-climatique-nous-devons-apprendre-a-desinnover_6093287_3232.html.

Bonnet, Landivar, Monnin, 2021

Bonnet Emmanuel, Landivar Diego, Monnin Alexandre. 2021. Héritage et Fermeture : Une Écologie du Démantèlement. Éditions Divergences.

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