L'effet rebond

Introduction

Les solutions visant à réduire nos impacts environnementaux peuvent s'appuyer sur deux dimensions :

  • la dimension technologique dans les démarches d'amélioration de l'efficacité (suivant le contexte on parle aussi d'efficience) qui rend les usages plus économes en ressources et moins émissifs en pollution, sans les remettre en cause. Il s'agit de « faire la même chose, voire plus, avec moins », c'est-à-dire de réduire la consommation « unitaire » de nos usages.

  • la dimension des usages dans les démarches de sobriété dans lesquelles il s'agit de « faire moins avec moins ».

Par exemple, la réduction de la consommation de carburant aux 100 km d'une automobile relève de la première dimension, alors que la réduction du kilométrage annuel relève de la seconde. L'effet rebond annule une partie voire la totalité des bénéfices environnementaux obtenus sur une des dimensions du fait d'effets « secondaires » sur l'autre dimension : améliorer les performances en terme de consommation d'un véhicule peut conduire à une « intensification » de son usage (augmentation du kilométrage annuel, de la vitesse moyenne, etc.).

Qu'est-ce que l'effet rebond ?

Une technologie plus efficace a tendance à être plus utilisée, par exemple à cause de la baisse des coûts d'utilisation. C'était déjà le constat que faisait W.S. Jevons pendant la révolution industrielle en Angleterre au XIXe siècle à propos des progrès d'efficacité énergétique de la machine à vapeur : ceux-ci avaient en effet conduit à une augmentation de la demande en charbon et non à l'inverse. Cette situation est appelée effet rebond (plus exactement effet rebond direct), ou paradoxe de Jevons en référence à cet exemple historique du charbon. Un exemple typique d'effet rebond est le trafic induit : une infrastructure de transport plus efficace peut causer une augmentation de la demande, c'est-à-dire du trafic routier. Ce phénomène empêche de résoudre les problèmes de congestion par simple augmentation des capacités routières.

L'exemple de la Katy Freeway à Houston : malgré ses 26 voies elle n'a pas permis de résoudre les problèmes de congestion à cause du trafic induitInformations[1]

Les exemples d'effet rebond dans le secteur du numérique sont nombreux (Flipo et Gossart, 2009)[2] : depuis Eniac (le premier ordinateur entièrement électronique) la miniaturisation a rendu possible l'explosion du nombre d'objets électroniques (Gossart, 2014)[3] (ordinateurs personnels, smartphones, objets connectés, etc.), les améliorations d'efficacité énergétique des réseaux de transmission combinées à celles des débits et des capacités de stockage ont permis l'explosion du trafic de données (Bol et al., 2021)[4], etc.

Les effets rebond indirects

On parle d'effet rebond indirect lorsque des économies réalisées dans un domaine génèrent de la consommation dans un autre (Gossart, 2014)[3]. Ainsi une démarche de sobriété peut aussi être source d'effets rebond, du fait des économies réalisées qui sont réinvesties (qu'elles soient monétaires ou temporelles), ou du fait de leur effet déculpabilisant sur la consommation d'autres produits (Schneider, 2009)[5]. Par exemple remplacer la voiture par le vélo dans les déplacements quotidiens permet de faire des économies qui peuvent être utilisées pour réaliser des voyages lointains en avion pendant les vacances, ce qui annule les bénéfices environnementaux liés à l'usage du vélo.

Les causes de l'effet rebond

L'effet rebond peut se produire lorsqu'une ou plusieurs limites à l'usage et/ou à la production sont repoussées (Schneider, 2009)[5]. Ces limites peuvent être économiques, physiques, techniques, psychologiques, sociologiques, réglementaires, etc. À l'échelle macro-économique, l'effet rebond se traduit par une augmentation de l'activité économique, si bien qu'il empêche le découplage (absolu) entre croissance et impacts environnementaux (Brockway et al., 2021)[6]. L'effet rebond ne s'explique pas uniquement comme résultant de la somme des comportement individuels, il a aussi des origines plus structurelles dans les politiques de croissance (Schneider, 2009)[5], les stratégies commerciales, l'effet des marchés et de la financiarisation, les normes sociales, techniques, et réglementaires (Wallenborn, 2018)[7].

Mesurer et prévoir l'effet rebond

L'ampleur de l'effet rebond est définie comme la part des gains potentiels qui est annulée par l'augmentation de l'usage, et on parle de backfire lorsque celle-ci excède 100% c'est-à-dire lorsque les gains potentiels sont plus que contrebalancés par les effets négatifs. Prévoir cette ampleur est utile pour anticiper la réalité des gains qu'on peut espérer d'une solution, mais cela reste (très) difficile. L'approche courante pour y parvenir fait appel à des modélisations économiques qui ne sont pas conçues pour rendre compte de changements sociétaux profonds (Briens , 2015)[8] (or ce sont d'eux dont nous avons probablement besoin, par exemple pour décarboner nos économies).

Pour comprendre et prévoir l'effet rebond, étudier les tendances historiques se révèle aussi très utile. Elles nous montrent par exemple que l'optimisation continue des infrastructures et des équipements numériques ne permet pas de compenser l'accroissement des usages, si bien que l'empreinte carbone globale de nos réseaux, de nos centres de données, et de nos équipements terminaux tend à augmenter (Bol et al., 2021)[4]. Plus généralement l'histoire des techniques nous montre comment les usages s'empilent et se complémentent plus qu'ils ne se substituent (Fressoz, 2021)[9].

Quand peut-on s'attendre à un effet rebond ?

L'effet rebond risque de se manifester dans les solutions de type « gagnant-gagnant », plus particulièrement celles qui :

  • conduisent à des gains d'argent, de temps (effets d'accélération), d'espace (miniaturisation)

  • apportent de nouvelles fonctionnalités (génératrices de nouveaux usages)

  • incitent à plus d'usage par des performances ou un confort d'utilisation accrus.

Comment limiter l'effet rebond ?

  • sensibiliser à l'effet rebond, inciter à conscientiser les intentions (sont-elles écologiques ? économiques ?)

  • penser de façon systémique et à des échelles larges (donc à l'échelle collective plutôt qu'individuelle)

  • favoriser les solutions « low-tech » (car elles évitent en général de générer de nouveaux besoins)

  • flécher les budgets économisés (en argent ou en temps) vers d'autres améliorations environnementales pour lutter contre les effets rebond indirects.