Introduction aux lowtechs (avec Philippe Bihouix)

Introduction

Les 7 commandements des low-tech

Rapport aux besoins

Remettre en cause les besoins

Fondamental

Toute activité humaine a un impact (non souhaité, induit) sur l'environnement, donc la première chose à faire (du point de vue de la soutenabilité) est de chercher à minorer cet impact.

Sobriété

Il n’y a donc pas de produit ou de service plus écologique, économe en ressources, recyclable, que celui que l’on n’utilise pas.

Simplicité (lien à la convivialité)

Au-delà de son indéniable efficacité, la suppression pure et simple du besoin a un autre immense avantage : sa simplicité.

Radicalité (on prend les problèmes à la racine)

Ce principe de simplicité pourrait d’ailleurs être utilement généralisé en travaillant à la source des problèmes, plutôt qu’en tentant d’en gérer les conséquences à coups de normes et de contrôles, de mesures palliatives, de réglementations complexes.

Exemple

Le verre coloré est inutile et complexe à recycler (n'utiliser que du verre blanc serait tellement plus simple).

ExempleÉconomie circulaire

L’écologiste de l’offre réclamera des gobelets à café en plastique recyclable, l’écologiste de la demande aura sa tasse dans le tiroir de son bureau.

ExempleÉnergie renouvelable

L’écologiste de l’offre réclamera à cor et à cri le remplacement des centrales électriques classiques par des énergies renouvelables. L’écologiste de la demande proposera de débrancher les télévisions.

AttentionLes besoins sont techniquement constitués

Le premier principe n’a rien de technologique.

Pourtant si...

Avec une pierre taillée, un hippopotame m’apparaît comme une source de nourriture, et plus seulement comme un prédateur.

AttentionQui décide et comment ?

De même, pour éviter un certain nombre de polluants et produits toxiques, il suffirait de décider de ne plus les synthétiser.

Il suffirait de... (un signe... presque rien... choisissez votre chanson préférée)

La matrice « écolo-liberticide »

ExemplePeut-on défendre la pub ?

Son objectif est de créer du besoin donc de la consommation de ressources ? (mais si c'est juste pour promouvoir mon roman...)

ExemplePuff !

Rapport à l'ingénierie

Concevoir et produire réellement durable

Local et réparable d'abord (en lien avec la convivialité)

  • Localité : construire localement, à défaut pouvoir réparer localement

    « faire société à l’échelle du village, de la ville, de la région... »

    « il n’est donc pas question d’interrompre les échanges mais de les focaliser uniquement sur ce qui ne peut pas être produit localement » Exemple du vélo :

    « Même un modèle simple contient plusieurs centaines de pièces élémentaires, dont la plupart ont un contenu technique qui n’est pas maîtrisable « localement » [...] En revanche, une fois construit, il est clairement possible pour le commun des mortels d’en comprendre parfaitement le fonctionnement, de le « bricoler », et un réseau de réparateurs ayant accès à des pièces détachées simples peut le maintenir en état pour de très nombreuses années, pour ne pas dire indéfiniment ou presque. »

  • Réparabilité

  • Suppression du jetable

  • Consommable fabriqués localement

RemarqueIndustriel ≠ high-tech

« Pourtant, une fois fabriqué par un procédé forcément industriel (mais pas obligatoirement très high tech) »

RemarqueIl y a des bonnes et des mauvaises standardisations

(comme pour les chasseurs)

  • les bonnes ont un impact écologique positif (récipients en verre standardisés pour être réutilisés),

  • les mauvaises complexifient les procédés pour un gain marginal.

Fondamental

La conception de la « réparabilité » doit-elle avoir priorité sur les autres « fonctions » ? (même en médecine ?)

Comment on le mesure en amont de la conception ? Comment on le contrôle en aval ?

FondamentalFausses bonnes idées ?

Le coût écologique du nettoyage est-il toujours inférieur au coût du jetable ?

  • Peut-être est-ce assez le cas en moyenne pour adopter ceci comme une règle ?

  • Sinon, comment mesure-t-on et certifie-t-on ?

Relocaliser sans perdre les (bons) effets d’échelle

En lien avec « Concevoir et produire réellement durable »

« rapprocher les sites de production des lieux de consommation. »

« Il est donc logique, souhaitable – et envisageable [...] qu’un certain nombre de manufactures, de taille petite à moyenne, se réimplantent dans nos territoires. Au moins celles des objets du quotidien »

  • Exemples : vêtements, chaussures, vaisselle, petit outillage, quincaillerie...

  • Contre-exemple : électronique grand public

Remarque : défauts à éviter dans le contexte de la relocalisation

  • artificialisation de nouveaux sols (faire avec ce qu'on a)

  • sur-consommation énergétique

  • gaspillage de matériaux

  • ...

Remarque : artisanat, manufacture, usine, réseau d'usines

« Tandis que, pour Adam Smith, il y a un intérêt à se spécialiser dans une tâche pour acquérir dextérité et automatisme, quitte d’ailleurs à ce que le même ouvrier change de tâche d’un jour à l’autre, ou dans le courant de la journée en travaillant par batch avec des tâches répétitives sur une même série – une organisation du travail qui n’est pas forcément incompatible avec la richesse cognitive du travail manuel –, pour Henry Ford l’intérêt de la chaîne est de pouvoir y subordonner des ouvriers sans qualification particulière, facilement remplaçables et donc moins payés. »

« La spécialisation, et le transport de produits semi-finis qui est son corollaire naturel, ne datent donc pas d’hier [...] Sauf que désormais l’effondrement des coûts du transport (pétrole et conteneurisation) a permis une organisation à une tout autre échelle, mondialisée, et à un niveau de concentration et de spécialisation jamais atteint. »

Remarque : faire avec ce qu'on a (en lien avec « Remettre en cause les besoins »)

« Or imaginons que nous réduisions [...] le besoin de 50 % dans la construction et de 80 % dans l’automobile et l’emballage. Sans entrer dans les détails, les 50 % dans la construction pourraient être atteints par exemple sans les bureaux et les bâtiments industriels (faire avec ce que l’on a), avec un peu plus de réhabilitation et une meilleure utilisation du parc existant en logements (il y a en France 10 % de résidences secondaires inoccupées). Les 80 % dans l’automobile pourraient être atteints en travaillant sur la taille du parc et la durée de vie, les 80 % dans l’emballage par une généralisation de la vente en vrac et en contenants réutilisables. »

Les industries de réseau

« Reste l’épineuse question des industries de réseau. Peut-être plus que les objets manufacturés, il s’agit là d’une part essentielle de notre activité économique, de notre « confort » : distribution d’eau, de gaz, d’électricité, réseaux d’assainissement, transports collectifs, hôpitaux, télécommunications. »

  • « la complexité technique y est fort grande et les pistes pour nos basses technologies loin d’être évidentes. »

  • « De plus, les réseaux sont également dépendants du macro-système technique complet »

FondamentalComment on s'en sort ?

  1. par la réduction des besoins (de transports moins rapides aux toilettes sèches et à l'intermittence électrique) ;

  2. parce que l’utilisation globale de ressources de ces industries de réseau reste sans doute assez faible en comparaison des grands secteurs « consommateurs », donc :

    • on peut se focaliser sur leur préservation,

    • moins se focaliser sur les économies liées à ces secteurs,

    • et comme ils sont plus nécessaires à la survie c'est ce qui va se produire.

Orienter le savoir vers l’économie de ressources

Orienter la recherche

  • agriculture

  • chimie

  • technologie (recyclage)

  • ...

RemarqueLowtechisation ≠ Amishisation

« En réalité, bien au contraire, il faudra des savoirs et de la recherche, mais orientés vers des finalités différentes d’aujourd’hui. »

Orienter la formation (comprendre)

Que chacun sache (vision proche des lumières ; en lien avec la convivialité)

« Chaque consommateur devrait comprendre l’impact, les tenants et les aboutissants, de ses achats. »

« Pour réduire le volume des déchets et assurer le retour des nutriments à la terre, il sera nécessaire que chacun, chez soi, soit sensibilisé et comprenne mieux les principes des grands cycles naturels et les modalités pratiques du compostage. »

Fondamental

  • Programmes d'état pour la formation ? (assez facile ?)

  • Place des industriels dans la recherche (assez facile si les moyens de la recherche sont retournés au public ?)

Rapport à la technique

Rechercher l’équilibre entre performance et convivialité

Remarque

Il y a donc un antagonisme a priori.

Résilience

« La recherche de performance à tout prix ne fonde pas un système industriel très résilient, résistant aux perturbations, qui ne manqueront sans doute pas d’arriver : risques géopolitiques, ruptures d’approvisionnements, pic de ressources, instabilités politiques... »

Accessibilité

« Mieux vaut, certainement, perdre un peu en efficacité mais faire robuste, simple, avec des matériaux et des technologies éprouvées, pour augmenter les capacités locales à entretenir, à réparer, à faire durer, à maîtriser les objets, les outils ou les systèmes techniques. »

RemarqueLien à la dimension « savoir » (versus le solutionnisme magique)

  • Les systèmes techniques modestes sont mieux compréhensibles.

  • À l'inverse les macro-système fonctionnent comme des objets magiques et entretiennent les mythes du solutionnisme (tout est possible).

Renoncer à de l'efficacité (y compris environnementale) pour de la convivialité

« principe d’acceptation de la moindre performance, du vieillissement, de la perte de rendement contre le remplacement à tout prix par un nouveau modèle »

ExempleÉolienne

« Vaut-il mieux des éoliennes « de village », peut-être limitées à un réseau local, avec moins de puissance fournie ou une gamme de fonctionnement moins étendue, mais une technique robuste, basique, des matériaux moins loufoques [...] et qui puissent être réparées facilement ? Ou ces monstres de 5 MW de puissance, bourrés de technologies de pointe, et leurs sous-systèmes associés ? »

ExempleBâtiments

« [...] appliquer en premier lieu aux bâtiments, aux infrastructures et aux installations industrielles existantes. C’est une des manières de lutter contre l’artificialisation galopante des terres. »

FondamentalÉvaluation du rapport efficacité / convivialité ?

« Les hommes et femmes de l’art me rétorqueront que ce serait une aberration de planter de petites éoliennes moins puissantes, qui, pour être installées, nécessitent bien plus de béton et d’acier par kilowatt-heure produit. »

  • dépend de ce qu'on évalue (sous-système ou macro-système)

  • dimension systémique

  • ...

« Démachiniser » les services

« Mais pourquoi remplacer les humains par des machines partout ? »

Place prépondérante du numérique autour de cette question : tous les services y ont recours.

Exemple

Séparer les fonctions :

  • optimisation (OK)

  • accueil (pas OK)

Fondamental

  • La machinisation est-elle une pure modalité économique ?

  • La machinisation est-elle un fantasme du progrès (i.e. il y a des gens qui trouvent ça bien) ?

Attention

Bonjour l'IA...

Des couteaux et des machines, à propos de l’IA (Pierre Steiner, 2023)

RappelSource

Steiner, Pierre. « Des couteaux et des machines, à propos de l’IA ». AOC, 16 mars 2023. https://aoc.media/opinion/2023/03/16/des-couteaux-et-des-machines-a-propos-de-lia/.

L’agitation suscitée par les performances de l’agent conversationnel ChatGPT et, tout récemment, par le lancement de la version 4 de GPT, le programme d’OpenAI ne doit pas nous faire oublier que l’Union européenne est en train de finaliser un ambitieux projet législatif au sujet de l’intelligence artificielle. Initialement proposé par la Commission européenne en 2021 et actuellement débattu au Parlement européen, l’Artificial Intelligence Act vise à davantage encadrer les usages de l’intelligence artificielle sur le sol européen.

Du tri automatique de CV à la notation sociale « à la chinoise » en passant par la conduite autonome de véhicules ou encore l’identification biométrique, il s’agit d’identifier, de réguler voire d’exclure certains usages « à risque » de l’intelligence artificielle (IA).

Ce projet a aussi de potentielles conséquences pour les géants de la tech et leurs écosystèmes : en amont des usages, il est en effet question que des exigences légales s’exercent aussi sur le recueil et l’exploitation des données massives (Big Data) qui nourrissent les intelligences artificielles génératives, cela au nom de la fiabilité, de la transparence, ou encore de la représentativité et de l’absence de biais.

Il n’est donc pas surprenant que certains représentants et lobbyistes des GAFAM essaient de cantonner cette régulation exclusivement sur l’encadrement des usages. Pas question de réguler ce qui les précède ou les rend possibles ! On doit ainsi à Jason Oxman, directeur de l’Information Technology Industry Council, une belle réactivation de ce que l’on appelle classiquement en philosophie des techniques « l’argument du couteau », visant à démontrer que les techniques, en tant que telles, sont neutres, c’est-à-dire ni bonnes ni mauvaises : tout dépend des usages que nous en faisons. Un couteau ne peut-il pas en effet autant servir à beurrer une tartine qu’à tuer une personne (propos rapportés dans Le Monde du 15 février 2023) ? L’évaluation éthique et la régulation des techniques devraient ainsi se situer au niveau de leurs usages ; il est vain de procéder en amont, dès les activités de conception et de développement.

L’argument permet ici de déresponsabiliser habilement les chercheurs, entrepreneurs, financeurs, et concepteurs de systèmes d’intelligence artificielle : tout dépend de ce qu’en feront les individus et les sociétés, charge aux États de réguler ces usages… quand ils n’y recourent pas eux-mêmes ! Ne venez pas brider le travail les ingénieurs, traquez plutôt les terroristes – nous vous proposons d’ailleurs des outils pour cela !Que cet argument, en réalité éculé, soit à nouveau mobilisé laisse perplexe pour différentes raisons.

On peut tout d’abord remarquer que si l’entrepreneur recourt à cet argument de la neutralité (« la technique n’est intrinsèquement ni bonne ni mauvaise »), il ne peut plus tenir en toute rigueur un discours solutionniste dans lequel l’innovation technique est fondamentalement pourvoyeuse de bien-être et de résultats positifs, les éventuelles conséquences et externalités négatives ne découlant que d’usagers idiots ou mal-intentionnés. Tout comme le mal, le bien, ici, se trouve exclusivement dans les usages, et aucunement dans la technique elle-même. « Demain, grâce au Métavers, nous pourrons… » : il n’est pas certain que l’économie des promesses des géants du numérique et de la tech soit compatible avec cette affirmation plus modeste d’une neutralité des innovations.

Mais cette modestie – à supposer qu’elle ne soit pas feinte – ne repose-t-elle pas sur une forme de naïveté et d’ignorance ? C’est là la deuxième raison de se méfier de l’argument du couteau. Peut-on réellement imaginer un instant que les projets et intentions des concepteurs et des entrepreneurs puissent être neutres, c’est-à-dire indifférents à toute conception spécifique de ce qui bien et mal ? Sans parler des motivations économiques, il n’est jamais neutre qu’une technique soit conçue et développée : une certaine représentation de ce que devrait être le commerce, la santé, le soin, l’enseignement, la communication, l’organisation politique, l’emploi, les relations humaines, la vie privée ou les transports urbains nourrit les intentions et les projets techniques, mais aussi l’implémentation de diverses fonctionnalités.

Cette structuration – pour ne pas dire détermination – de la conception par un imaginaire éthique, social et politique spécifique est bien attestée dans le cas des entreprises de la Silicon Valley : le libertarianisme, le cornucopianisme et le transhumanisme sont des aspects de cet imaginaire, comme le mythe de l’entrepreneur génial et isolé. Au demeurant, cette structuration par un ensemble de valeurs et d’idéaux se retrouve aussi au niveau des usages : les usages ne sont jamais de pures performances individuelles créatives.

La technique demeure en bout de chaîne : elle exprime, cristallise et incarne nos déterminations.

Il existe une antienne concernant les déterminismes sociaux, culturels et économiques à l’œuvre dans les usages. De surcroît, même s’il était souverain dans ses choix, l’individu n’imposerait jamais ses intentions à une technique qui serait sinon inerte et passive : les intentions, préjugés et biais des concepteurs se retrouvent inscrits dans les architectures, les programmes et les configurations par défaut. D’où d’ailleurs l’ambition européenne de réguler les façons dont les données sont récoltées.

Si l’on en reste à ces deux premières remarques, les intentions des usagers et des concepteurs se voient ramenées à un ensemble de déterminations sociales, politiques et économiques. Match nul. Rien ne peut être neutre, y compris les finalités et les imaginaires de concepteurs et des entrepreneurs. Dans les deux cas, la technique demeure toutefois en bout de chaîne : elle exprime, cristallise et incarne ces déterminations. On continue de ne pas voir le plus important : la façon dont toute technique modifie nos intentions, nos idées, nos projets, nos imaginaires et nos façons de faire.

Il existe en effet une troisième raison, à mon sens plus profonde, de se méfier de l’« argument du couteau ». Cette troisième raison, hasard providentiel du calendrier, peut être illustrée par une découverte récente sur nos cousins paranthropes. On sait depuis longtemps que l’usage d’outils n’est pas le propre du genre Homo : le fait technique est présent chez de nombreuses espèces animales non-humaines. Depuis 2015 et les découvertes sur le site de Lomekwi, au Kenya, nous avons également appris que la taille de pierres, et l’usage de ces pierres taillées remonte à plus de 3 millions d’années, bien avant donc l’apparition du genre Homo.

Dans la revue Science du 10 février 2023, une équipe internationale de chercheurs en anthropologie et en archéologie a présenté des résultats nouveaux sur nos cousins paranthropes africains : plus de trois cents artefacts ont été découverts au Kenya, cette fois-ci sur le site de Nyayanga. Ces objets de pierre taillée sont certes postérieurs aux pierres de Lomekwi, mais ont été déterrés à proximité immédiate de squelettes fossilisés d’animaux comprenant des bovidés mais aussi et surtout des hippopotames. Les ossements présentaient des marques nettes de fractures et de découpes causées par les outils.

Cette découverte montre clairement que la fabrication et l’usage de ces outils a ouvert de nouvelles possibilités alimentaires : entailler la peau de grands mammifères comme les hippopotames avant de découper et de débiter leur chair, attendrir la viande, fracturer les os pour aller chercher la moelle, etc. La consommation de tubercules, après coupe et broyage, est aussi attestée. Sans outils, ces pratiques alimentaires et ces projets – indissociables d’un nouveau rapport aux êtres vivants non-humains, et de nouvelles formes d’organisation sociale – sont inconcevables. Il est donc plus que jamais discutable d’asserter qu’un couteau est, en tant que tel, neutre, n’encourageant aucune tendance ou façon de faire. La fabrication et l’usage de pierres taillées est d’emblée solidaire d’usages spécifiques, de voies que nous empruntons – et donc d’autres voies que nous délaissons.

Certes, un couteau ou une pierre taillée ne font rien d’eux-mêmes. Mais ils font faire. Ils transforment la façon dont nous nous rapportons à l’environnement et aux autres êtres vivants.

Comme le remarquait le philosophe John Dewey, avant d’être un objet, la technique est une manière de faire l’expérience du monde. Avec une pierre taillée, un hippopotame m’apparaît comme une source de nourriture, et plus seulement comme un prédateur. Cette transformation de nos pratiques alimentaires, sociales, et environnementales ouverte et contrainte par les pierres taillées, nul ne pouvait l’envisager au départ. Nous empruntons un chemin dont les contours et l’issue ne sont pas déterminés par nos intentions. Étant donné que nos intentions et nos projets sont modifiés par l’usage de la technique, nous ne pouvons en effet pas savoir où cet usage va nous mener.

L’« argument du couteau » et la régulation exclusive par les usages qu’il prétend justifier reposent sur un idéalisme très fruste à propos des pouvoirs de la pensée et de l’imagination : ces dernières pourraient d’avance nous projeter là où nous arriverons si nous utilisons une nouvelle technique ou si nous modifions nos usages. Nous projetons un point d’arrivée en supposant que la technique ne fera pas advenir de nouveaux désirs, de nouvelles dépendances, mais aussi de nouvelles incuries. En réalité, nous nous engageons dans des voies qui ne peuvent être complètement anticipées parce qu’elles sont ouvertes et contraintes par les techniques qui sont à notre disposition.

Pour en revenir à l’AI Act, il est temps d’accepter que le recueil, le stockage, la circulation et la reproduction des données sont consubstantiels aux systèmes numériques et à tout objet connecté, et ouvrent ou amplifient un ensemble d’usages indéterminés qui ne leur préexistaient pas sous la forme que nous connaissons actuellement (tracer, profiler, surveiller, quantifier, corréler, générer par induction…). La régulation et les garde-fous sont-ils dès lors vains ? Nullement. À côté d’une méfiance nécessaire par rapport aux prophéties technolâtres et technophobes, il convient de redoubler de vigilance et d’exigence à propos de l’évaluation des innovations techniques, en rapport avec les pratiques auxquelles nous tenons. Il n’y a décidément pas de raison que les choix techniques soient laissés aux seules mains de la tech au nom d’une fausse neutralité, avec la conviction que nous pourrons ensuite réguler ces usages comme bon nous semble. Ces choix techniques engagent en effet dès le départ des choix de société.

La thèse TAC ou « l'école de Compiègne » (avec Pierre Steiner)

DéfinitionThèse TAC 1 : Il n'y a pas d'humain sans technique

La technique est ce qui définit l’avènement de l'humain (il n'y a pas d'humain avant la technique).

DéfinitionThèse TAC 2 : L'intelligence humaine a toujours un substrat technique

La technique est ce qui permet le rapport de l'humain au monde (la conscience et la connaissance sont techniquement constituées).

RemarqueCo-constitutivité

La technique façonne l'humain autant que l'humain façonne la technique.

RemarqueThéorie du support

La technique n'est pas que le produit de l'intelligence humaine, c'est elle qui rend possible l'intelligence humaine.

En conséquence : la science est un produit de la technique.

RemarqueNon neutralité de la technique

Le couplage entre humains et objets différents produit des rapports au monde différents qui dépendent des propriétés techniques des objets.

On ne peut pas donc pas décider de contrôler les usages que l'on fait des objets indépendamment des objets.

RemarqueAutonomie de la technique

Les objets techniques sont le produit d'une évolution qui échappe en partie au moins à l'intention humaine (puisque celle-ci est elle-même dynamiquement constituée par cette évolution).

Besoins et technique

FondamentalBesoins sont artificiels (socio-techniquement constitués)

Les besoins sont à la fois :

  • naturels (ou biologiques, au sens de ressentis par le corps)

  • et artificiels (ou construits, au sens socio-techniques).

Guchet, 2022

Bergson (d'après Guchet, 2022)
  • La technique est une activité créatrice de nouvelles valeurs (de reconfiguration du monde) qui crée de nouveaux besoins (cycle perpétuel).

  • Les nouveaux besoins peuvent télescoper des besoins plus nécessaires (rester en bonne santé, en vie, faire ses choix...).

  • Besoins artificiels et contraintes naturelles : sortir du cadre de la nature n'implique pas d'oublier le cadre de la nature, et en particulier les aspects qui permettent de rester en vie

    • Ce qui légitime la notion de frugalité ou sobriété

    • Cf la théorie du Donut de Raworth (2012)

Remarque
  • Les évolutions techniques créent de nouveaux modes de rapport au monde et font donc évoluer les besoins, qui sont toujours, en ce sens, artificiels.

  • Le capitalisme productiviste fabrique des besoins pour soutenir sa croissance, ce qui les rend « encore plus » artificiels (il y a organisation humaine explicitement tournée vers la création des nouveaux besoins).

RemarqueParadoxe (apparent)

Les besoins radicaux émergent grâce à l'accélération du développement technique et au capitalisme qui permet de distinguer :

  • des besoins artificiels qui résulteraient d'une évolution technique historique lente

  • de ceux qui sont créés pour répondre au besoin de la croissance moderne.

Ingénierie des besoins

Susciter des nouveaux besoins artificiels suppose de :

  • inventer des objets ou des services nouveaux,

  • optimiser leur ergonomie pour en naturaliser l'usage : rationalisation du geste, accélération de la procédure, abstraction du coût économique, invisibilisation du coût matériel,

  • et d'accélérer le rythme de leur renouvellement.

Keucheyan, 2019

ExempleIngénierie des besoins
  • Les machines à sous de Las Vegas : fauteuil confortable, bouton simple d'usage, accès à la carte bancaire...

  • Le 1-Click d'Amazon

  • ...

Guchet, 2022

Guchet Xavier. 2022. Du soin dans la technique : Question philosophiqueDu soin dans la technique. ISTE Group.

Raworth, 2012

Raworth Kate. 2012. A safe and just space for humanity : can we live within the doughnut ?. Oxfam Discussion Paper.

Keucheyan, 2019

Keucheyan Razmig. 2019. Les besoins artificiels : comment sortir du consumérisme. Éditions La Découverte. https://www.editionsladecouverte.fr/les_besoins_artificiels-9782355221262.

Besoins et utilité

DéfinitionUtile

Dont l'usage, la pratique est ou peut être avantageux pour quelqu'un; qui satisfait un besoin, répond à une demande sociale.

cnrtl.fr

Qu'est-ce qui est utile ?

Une low-tech répond à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif. Elle contribue à rendre possible des modes de vie, de production et de consommation sains et pertinents pour tous dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’alimentation, l’eau, la gestion des déchets, les matériaux, l’habitat, les transports, l’hygiène ou encore la santé.

https://lowtechlab.org/fr/la-low-tech

Exemple

Trois aspirateurs en huit ans, ça commence à faire beaucoup. Cette fois, sur l’aspirateur balai sans fil de Sophie, c’est une pièce en plastique qui a cédé : celle qui relie le pistolet amovible au manche. [...] Malgré ses déboires, Sophie n’a pas envie de renoncer à ce type d’appareils, fonctionnant sur batterie : "C’est drôlement pratique de ne plus avoir à se brancher partout pour nettoyer la maison."

Douriez, 2023

ExempleAlors ?
  • L'aspirateur est utile car il adresse le domaine « gestion des déchets ».

  • Il est « avantageux » pour l'individu car il lui fait gagner en « liberté » : gain de temps, ménage plus régulier, moins de fatigue physique, prévention du mal de dos...

Qui décide ?

  • Un balai est utile et répond à un besoin ?

  • Un aspirateur traîneau est utile et répond à un besoin  ?

  • Un aspirateur balai sans fil est utile et répond à un besoin ?

ExempleMême la publicité serait « possiblement » utile ?

Le gouvernement a choisi de ne pas reprendre l’interdiction de la publicité sur les promotions et ventes par lot en raison de son possible intérêt pour les ménages.

Suivi de la Convention citoyenne pour le climat. https://www.ecologie.gouv.fr/suivi-convention-citoyenne-climat

Douriez, 2023

Douriez Benjamin. 2023. L'aspirateur balai, un gâchis écologique. in Reporterre. https://reporterre.net/L-aspirateur-balai-un-gachis-ecologique.

Vers une démocratie des besoins

La question du consentement

Qui fixe les besoins ?

  • une bureaucratie (URSS)

  • la publicité (Bernays)

  • soi-même (Épicure)

Spectre de la « dictature des besoins »

Au libre-choix (théorique, cf la publicité) proposé par le marché s’opposerait une dictature des besoins, qui déciderait ce qui est vital, essentiel...

Keucheyan, 2019

ExempleBureaucratie soviétique (tu n'as pas besoin de chocolat !)
  • Le report de la satisfaction des besoins : ils seront satisfaits mais plus tard (c'est un état d'exception permanent).

  • Le paternalisme bureaucratique : les individus ne sont pas à même de décider ce qui est bon pour eux ou pour le collectif, donc une autorité supérieure le décide pour eux.

ExempleCapitalisme de surveillance (tu aimes le chocolat !)
  • La satisfaction des besoins de l'humanité est présentée comme un horizon (plus le gâteau est grand plus il y a de gâteau pour chacun) ; en pratique l'accroissement de la population (pauvre) et l'accroissement des inégalités invalident cette perspective (la « quantité de besoins à assouvir » croît).

  • La publicité et les algorithmes du capitalisme de surveillance décident de nos besoins.

MéthodeAlternatives (#TODO)
  • Initiatives publiques :

    • Convention Citoyenne pour le Climat (150 personnes tirées au sort) ;

    • Assemblée Citoyenne du Futur (Marseille, 2023 : 101 membres, 60% tirés au sort sur les listes électorales, 24% non inscrits sur les listes dont des étrangers, 16% de jeunes lycéens) ;

    • ...

  • Initiatives privées : Associations de consommateurs-producteurs (cf. Communs)

Besoins et hiérarchie

Pouvons-nous définir une hiérarchie des besoins (de vital à nuisible) ?

Un peu comme nous classons aujourd’hui les appareils électroménagers ou les logements selon l’“étiquette-énergie” qui va de A à G, il est possible de classer l’ensemble de nos besoins selon une échelle allant des besoins “vitaux”, ceux dont aucun être humain ne peut se passer, aux besoins “nuisibles”, ceux dont la satisfaction nous procure un plaisir souvent égoïste et dérisoire en regard des méfaits qu’ils provoquent directement ou indirectement sur l’environnement ou sur autrui, aujourd’hui ou demain. Entre ces deux extrêmes, nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux à ceux qui sont essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables.

(Salomon and Jedliczka, 2015)

AttentionLes besoins sont (presque) toujours relatifs

En dehors de quelques cas triviaux, on ne sait pas classer de façon évidente nos besoins et encore moins les réduire à une étiquette-énergie qui renverrait à quelque chose d'objectivable, de mesurable

Exemple

Se nourrir est nécessaire mais peut-être assimilé à des besoins différents (Keucheyan, 2019) :

  • manger de la nourriture crue avec les doigts ;

  • manger de la nourriture cuite avec des ustensiles (assiette, couteau, fourchette) ;

  • manger de la nourriture préparée, pré-cuite, pré-cuisinée, se conservant longtemps, emballée.

Fondamental
  • On fait l'hypothèse que l'on peut évaluer individuellement nos besoins a minima deux à deux : x vaut plus que y pour moi.

  • Pour passer à l'échelle d'une société, il faut donc des espaces pour délibérer et décider des hiérarchies subjectivement et collectivement.

Salomon and Jedliczka, 2015

Salomon Thierry, Jedliczka Marc. 2015. Le Manifeste négaWatt. Actes Sud. https://negawatt.org/Manifeste-negawatt.

Besoins et histoire

Les besoins sont dynamiques (historiquement constitués)

Les besoins ont tous une histoire, ils évoluent avec le temps.

Leur valuation évolue aussi : superflu versus authentique, insoutenable versus soutenable, aliénant versus autonomisant.

Exemple
  • J'ai besoin d'un médicament qui me maintien en vie, même si ce médicament a été inventé récemment.

  • J'ai besoin de pouvoir communiquer à distance rapidement et facilement pour entretenir mon réseau social.

  • Je n'ai pas besoin de vivre à proximité de mon lieu de travail car je dispose de modalités de transport rapides et disponibles.

  • je n'ai pas besoin de savoir réparer les objets que j'utilise car je peux facilement les remplacer.

Liste des raccourcis clavier

Liste des fonctions de navigation et leurs raccourcis clavier correspondant :

  • Bloc Suivant : flèche droite, flèche bas, barre espace, page suivante, touche N
  • Bloc Précédent : flèche gauche, flèche haut, retour arrière, page précédente, touche P
  • Diapositive Suivante : touche T
  • Diapositive Précédente : touche S
  • Retour accueil : touche Début
  • Menu : touche M
  • Revenir à l'accueil : touche H
  • Fermer zoom : touche Échap.