Décroissance

Introduction

  1. La croissance pose des problèmes factuels

  2. Il n'est pas probable qu'on puisse conserver la croissance tout en réglant ces problèmes (le découplage)

  3. La décroissance n'est pas un problème

À quoi ressemble la croissance ?

Une croissance à 2% par an, c'est 700% 100 ans.

Croissance

Biais de la croissance exponentielle

La plus grande faiblesse de l'espèce humaine vient de son incapacité à comprendre la fonction exponentielle.

(Albert Bartlett)

Attention

Un phénomène régi par une exponentielle peut croître extrêmement vite et soudainement, contrairement à un phénomène linéaire.

DéfinitionBiais de la croissance exponentielle

Le biais de la croissance exponentielle décrit le fait que le cerveau humain a tendance à minimiser la croissance des fonctions exponentielles.

ExempleÉchiquier et grain de riz

Après la cinquième case remplie, l'échiquier possède 1 + 2 + 4 + 8 + 16 = 31 grains de riz.

On doit placer 1 grain de riz sur la première case d'un échiquier, puis 2 sur la deuxième case, puis 4 sur la troisième, puis 8 sur la quatrième, et ainsi de suite en continuant de doubler à chaque case.

Nous estimerons intuitivement qu'il faudra une assiette ou sac de riz pour remplir ainsi l'échiquier.

Or il faudra pour y parvenir 18 milliards de milliards de grains de riz, soit plus de 700 milliards de tonnes, c'est à dire environ 1500 ans de la production mondiale actuelle...

Fondamental

  • La notion de croissance exponentielle est aujourd'hui essentielle, en particulier parce que l'économie mondiale repose sur la croissance exponentielle du PIB.

  • Parallèlement, l'empreinte écologique croît également de façon exponentielle.

Croissance et impact environnemental

Je peux vous dire en tant que biologiste que toutes les courbes exponentielles que nous observons dans le monde végétal et dans le monde animal parmi les êtres vivants, finissent toujours extrêmement mal. Le cas où ça se passe moins mal, c'est lorsqu'il y a une stabilisation. (Jean Dorst, 1974).

Les limites à la croissance (Denis et Donella Meadows et Jorgen Randers)

La demande humaine se met à dépasser la capacité de la Terre en 1980

Empreinte écologique contre capacité de charge (Meadows et al., 2012)

FondamentalThèse

La boucle de rétroaction qui a rendu possible l'expansion de l'économie matérielle va faire machine arrière et l'économie va se contracter.

  1. Les éléments physiques sur lesquelles s'appuie cette croissance sont de plus en plus difficile à obtenir (terres fertiles, ressources minières, énergie...).

  2. Les conditions sociales de la croissance (paix, stabilité sociale, science, éducation, institutions solides...) sont mises à mal par la raréfaction des ressources (cf infra) combinée à l'augmentation de la population.

Exemple

Énergie nécessaire pour produire du métal à partir d'un minerai (Meadows et al., 2012)

DéfinitionSoutenabilité (Herman Daly)

  • On ne doit pas prélever dans les ressources renouvelables plus vite qu'elles ne se renouvellent (eau douce, poissons, sols, forêts...).

  • On ne doit pas prélever dans les ressources non-renouvelables sans construire en même temps son remplacement par une ressource renouvelable gérée de façon soutenable.

  • On ne doit pas émettre de polluants plus vite qu'ils ne peuvent être recyclés, absorbés ou rendus inoffensifs.

Exemple

On ne doit pas pêcher les poissons plus vite qu'ils ne se reproduisent.

  • Si on exploite un puits de pétrole alors une partie de l'énergie prélevée doit servir à créer une ressource renouvelable, par exemple une forêt, qui prend le relais une fois celui-ci épuisé.

  • Si on rejette des eaux usées dans un cours d'eau alors il faut que ce débit laisse le temps aux bactéries de faire leur travail.

Croissance : promesses et réalité (avec le Donut)

Rappel

A safe and just space for humanity to thrive in

RAWORTH, Kate, 2012. A safe and just space for humanity : can we live within the doughnut ? Oxfam Discussion Paper.

The Social Shortfall and Ecological Overshoot of Nations

Number of social thresholds achieved versus number of biophysical boundariestransgressed by countries over time, 1992–2015 (Fanning et al., 2022)

FANNING, Andrew, O’NEILL, Daniel, HICKEL, Jason et NICOLAS, Roux, 2022. The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability. 1 janvier 2022. Vol.5. DOI 10.1038/s41893-021-00799-z.

Le modèle World3 (Denis et Donella Meadows et Jorgen Randers)

Principe du modèle World3

Extrait du modèle de World3 (boucles de rétroaction de la croissance de la population et du capitale) (Meadows et al., 2012)
Scénario 0 : Scénario idéal avec suppression des limites physiques, hypothèse que la technologie a un potentiel illimité, un impact instantané et ne se trompe jamais
Scénario 1 : Scénario conservateur qui représente ce qui advient si on reste sur le même schéma de fonctionnement que depuis le milieu du XXe siècle
Scénario 2 : Scénario équivalent à S1, avec avec des ressources non renouvelables plus accessible (stock doublé)
Scénario 3 : Scénario 2 avec en plus des technologies de contrôle de la pollution plus performantes
Scénario 4 : Scénario 3 avec en plus des technologies d'amélioration des rendements agricoles
Scénario 5 : Scénario 4 avec en plus des technologies des protection contre l’érosion des sols
Scénario 6 : Scénario 5 avec en plus des technologies permettant d'augmenter l’efficience d'utilisation des ressources
Scénario 7 : Des mesures sont prises en 2002 pour stabiliser la population mondiale (2 enfants par famille)
Scénario 8 : Scénario 7 avec en plus des mesures prises pour stabiliser la production industrielle par habitant
Scénario 9 : Scénario 8 avec en plus des avancées technologiques (correspondantes aux scénario 3, 4, 5 et 6)
Scénario 10 : Scénario 9 démarré 20 ans plus tôt

Complément

Plessix, Mathilde Jochaud Du. « Analyse du modèle World3 : sensibilité, dynamique, et pistes d’évolution ». INSA Lyon, 2019. https://inria.hal.science/hal-02434683.

Découplage

Principe du découplage

Définition

Relative and absolute decoupling
Relative change in main global economic and environmental indicators (greenhouse gas, material footprint, gross domestic product)

Remarque

Si un découplage a bien été constaté en termes relatifs à lʼéchelle de la planète ou en termes absolus pour certaines régions du monde, au niveau mondial les émissions de CO2 et plus généralement de GES continuent à croître en valeur absolue.

Géraldine Thiry, 2023. Transitions : changer de regard(s) pour changer de système(s), Formation groupe UT, Luxeuil-les-bains.

Remarque

Considérer les GES est insuffisant (ce n'est qu'une partie du problème environnemental).

Découplage et technosolutionnisme

Fondamental

Si on veut découpler, donc prolonger la croissance sans augmenter les impacts, alors il faut miser sur la technologie.

Critique du découplage

Un pari incertain

Full decoupling of economic growth and resource consumption may not be possible.

European Environment Agency. « Growth without Economic Growth ». Briefing, 2023. https://www.eea.europa.eu/publications/growth-without-economic-growth

DéfinitionEROI (Energy Return on Energy Invested ou Taux de retour énergétique)

Rapport entre la quantité d'énergie investie afin de rendre disponible une quantité d'énergie

Découplage improbable

  • L'augmentation des dépenses énergétiques : pas d'économie sans énergie, pas d'énergie sans matériaux ; aujourd'hui les EROI sont en baisse, donc la croissance est de plus en plus difficile

  • L'empreinte écologique des services : les services s'ajoutent et ne se substituent, les services ne sont pas sans support technique (le numérique n'est pas immatériel)

  • Les limites du recyclage : recycler à 90% (on est loin de ce taux en général), c'est perdre la moitié de la matière après 6 cycles

  • Les freins technologiques : inertie versus urgence (en France, entre 7 et 9 ans pour installer un parc éoliens, 15 ans pour une centrale nucléaire), empilement technologique (les ordinateurs n'ont pas remplacé le papier), espérance de résultats jamais observés (exemple de réduction de l'intensité carbone)

Complément

  • Les effets rebonds

Décroissance

Critique du PIB (avec Timothée Parrique)

Compter...

Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, ce qui est compté ne compte pas forcément.

ExempleL'arbre

L'arbre n'a de valeur que lorsqu'il est coupé et vendu, mais sa propre production par la biosphère et les services qu'il rend durant sa vie (fabrication de l'oxygène, capture du carbone, rafraîchissement de l'air, stabilisation des sols, protection de la biodiversité, etc.) ne comptent pas.

Critique du PIB

e PIB mesure :

  • les biens et les services, mais pas leur répartition

  • les transactions marchandes, mais pas les liens sociaux

  • les valeurs monétaires, mais pas les volumes naturels

Exemple

L'introduction des engrais, pesticides et herbicides, a augmenté temporairement le rendement du travail agricole, mais ce au prix d'une perte de biodiversité, de fertilité des sols, et d'une mise à risque de la santé des travailleurs.

PIB et progrès

Le progrès technique n'est qu'illusoire si on l'augmentation de la productivité d'un facteur (marchand) se fait au détriment de la productivité d'un autre (non marchand).

Le travail domestique

Le travail domestique est « gratuit » :

  • il n'est pas mesuré par le PIB ;

  • il fait croître le PIB quand on le transfère (il génère donc une croissance artificielle).

Rompre avec la croissance

Productivisme et consumérisme sont les deux faces de la dynamique de la croissance

  • Le capitalisme est productiviste : « La concurrence oblige à produire toujours davantage de marchandises en moins de temps. »

  • Le capitalisme est consumériste : « Il a pour condition la consommation de marchandises, et donc de ressources matérielles et de flux d'énergie, toujours renouvelés. »

Keucheyan, 2019

La capitalisme organise la séparation entre consommateur et producteur :

  • appropriation privée des moyens de production

  • concurrence entre capitaux

  • marché du travail salarié

Keucheyan, 2019

Qu'est-ce qui entretient ce couple productivisme/consumérisme ?

  • La publicité

  • L'obsolescence programmée

  • Le crédit facilité

Exemple

Propaganda, la fabrique du consentement

Croissance : Quantité + Diversité + Complexité

Accroissement de la quantité d'objets

Accroissement de la diversité des objets (et de leur spécialisation : épluche légumes, couteau à pain, couteau à fromage...)

  • conséquence : on ne sait pas les choisir, structuration d'une professionnalisation de l'aide à la consommation (Que choisir) et développement de la publicité

Accroissement de la complexité des objets (le rôle du numérique est déterminant aujourd'hui)

  • conséquence sur la convivialité : on ne sait pas comment les objets fonctionnent

  • conséquence sur la soutenabilité : on ne sait pas les réparer (pas du tout ou pas facilement)

Keucheyan, 2019

Décroissance (avec Timothée Parrique)

Décroissance

Réduction de la production et de la consommation pour alléger l'empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.

Post-croissance

Économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble où les richesses sont équitablement partagées afin de prospérer sans croissance.

Complément

Revenu disponible par mois et par personne de (après contributions sociales) :

  • 1800€ en France

  • 1500€ dans l'Union Européenne

Source : Insee, 2021 

Croissance exponentielle

DéfinitionExponentielle versus linéaire
  • On parle de croissance exponentielle lorsque l'accroissement d'une quantité par une unité de temps est proportionnel à la quantité elle-même. C'est une multiplication.

  • Dans une croissance linéaire, l'accroissement par unité de temps est un nombre fixe. C'est une addition.

MéthodeCroissance exponentielle

La croissance exponentielle d'une quantité peut se décliner de différentes façons :

  • une quantité qui croit de x% par une unité de temps,

  • une quantité qui double à intervalle de temps réguliers,

  • ou encore une suite géométrique de raison supérieure à 1.

ExempleExponentielle

La quantité de messages que je reçois dans ma boîte mail croit de 10 % par mois.

Exemplelinéaire

Chaque mois je dois répondre à 10 mails de plus que le mois précédent.

Mécanismes et limites de la croissance exponentielle
Toujours plus vite

C'est ainsi qu'on peut qualifier la croissance exponentielle. La croissance linéaire et la croissance exponentielle sont deux modèles mathématiques simples et pertinents, des repères essentiels dans la jungle des comportements évolutifs observés dans le monde réel. Dans une croissance linéaire, l'accroissement par unité de temps est un nombre fixe : par exemple le diamètre d'un arbre croit de 5 cm par an, indépendamment de sa taille. Dans une croissance exponentielle, l'accroissement par unité de temps est proportionnel à la quantité : par exemple l'évolution du nombre de personnes contaminées par un virus dépend du nombre de personnes contaminées. C'est l'effet boule de neige.

Croissance linéaire vs croissance exponentielle
ComplémentVoir la formulation mathématique

Si Équation en notation Latex : x_n désigne la quantité mesurée l'année Équation en notation Latex : n, et Équation en notation Latex : a le coefficient de proportionnalité ou taux de croissance, la croissance exponentielle s'exprime par la relation

\begin{equation}x_{n+1}−x_n=ax_n\end{equation}

La suite Équation en notation Latex : (x_n) est une suite géométrique : Équation en notation Latex : x_{n+1}=(1+a)x_n de raison Équation en notation Latex : 1+a supérieure à Équation en notation Latex : 1, le fameux Équation en notation Latex : R des modèles d'épidémiologie. Lorsque Équation en notation Latex : a est positif, plus la quantité est importante, plus elle augmente.

« Plus vite, plus grand, plus beau : pendant plusieurs décennies, les lois de Moore ont gouverné la croissance exponentielle des performances de l'informatique, avec une sensation de progrès plus forte que dans aucun autre secteur. », Cédric Villani (2021).

La part des émissions mondiales de GES due au numérique croit aujourd'hui de 6% par an, c'est-à-dire qu'elle est multipliée par 1,06 chaque année. Au bout de deux ans elle sera multipliée par Équation en notation Latex : 1,06^1=1,1236. Par exemple, la quantité de données échangées sur les réseaux mobiles double tous les 3 ans ! Là, on y voit un peu plus clair, on sait qu'une quantité qui double à intervalles de temps réguliers va vite devenir faramineuse, comme l'illustre le problème de l'échiquier de Sissa, ou celui de la croissance des nénuphars (Olivi, 2020). Calculer le temps de doublement d'une quantité permet de mieux se représenter une croissance exponentielle. Au rythme de 6% par an, la part des émissions mondiales de GES dues au numérique devrait donc doubler d'ici 12 ans (Équation en notation Latex : 1,06^{12}=2,0122). Cela voudrait dire que dans les 12 prochaines années, le numérique émettrait autant de GES qu'il en a émis à ce jour depuis le début de la révolution numérique. Ses émissions représenteraient alors 7% des émissions mondiales de GES, alors qu'elles sont aujourd'hui à 3,5%. Et c'est compter sans l'augmentation probable de ce taux de croissance (Shift Project, 2021).

Mais au fond, pourquoi cette croissance vertigineuse se poursuit-elle alors que les progrès techniques rendent nos équipements de plus en plus performants d'un point de vue énergétique ? Cela s'explique de la façon suivante (Shift Project, 2021) : l'amélioration des performances techniques induit une augmentation des usages, laquelle suscite de nouvelles améliorations, etc. Il s'agit d'une boucle de rétroaction positive qui stimule la croissance. L'augmentation de la consommation énergétique causée par l'augmentation des usages, compense largement les économies d'énergies dues aux améliorations techniques. C'est ce qu'on appelle un effet rebond (voir la fiche concept L'effet rebond).

Cercle vicieux ou vertueux ?

Selon Olivier Hamant (2020), directeur de recherche à INRAE,

« La rétroaction est un concept clé pour comprendre le vivant, de la cellule à la planète »

Ce concept est en outre plus pertinent que celui de causalité pour décrire le comportement d'un système complexe. On distingue les rétroactions positives qui provoquent une accentuation du phénomène, voire un emballement. Une petite perturbation peut alors déclencher une croissance exponentielle des quantités en jeu. Les rétroactions négatives au contraire s'opposent au phénomène qui les a engendrées et peuvent le réguler, ou le réduire à néant.

Boucle de rétroaction de la vapeur d'eau

Dans les modèles du climat, on trouve de nombreuses boucles de rétroaction. Un exemple classique est celui de la vapeur d'eau. L'augmentation du CO2 dans l'atmosphère (perturbation initiale) conduit à une augmentation de la température globale. Lorsque la température augmente, la concentration en vapeur d'eau de l'atmosphère augmente à son tour. Il y a plus d'humidité dans l'air. Mais la vapeur d'eau est un puissant gaz à effet de serre. Si la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère augmente, cela va provoquer une élévation de la température et ainsi de suite.

Les cas des nuages est particulièrement intéressant, car il constitue un défi pour les climatologues. Les nuages de la basse atmosphère réfléchissent une partie du rayonnement solaire et contribuent au refroidissement de la planète, tandis que les nuages de la haute atmosphère contribuent à l'effet de serre. Mais les variations de la couche nuageuse dues au réchauffement climatique sont encore mal comprises, et les scientifiques ne savent pas à ce jour si au final les nuages contribuent à une rétroaction positive ou négative (Li, 2014).

Une vidéo de SimClimat (2020) montre l'importance de la prise en compte de ces phénomènes de rétroaction dans les modèles du climat et explique comment vérifier que ces modèles ont été correctement calibrés, c'est à dire que les paramètres extérieurs au modèle ont été correctement choisis.

Aplatir l'exponentielle

« Je peux vous dire en tant que biologiste que toutes les courbes exponentielles que nous observons dans le monde végétal et dans le monde animal parmi les êtres vivants, finissent toujours extrêmement mal. Le cas où ça se passe moins mal, c'est lorsqu'il y a une stabilisation. »

C'est ce que disait Jean Dorst, ornithologue français, dans l'émission Demain la terre du 13/04/1974. Mais comment stabiliser la croissance ? Comment aplatir l'exponentielle ?

Le mathématicien belge Pierre-François Verhulst (1804-1849), chercha une réponse mathématique à ce problème, soulevé par Malthus à la fin du 18ème, lequel s'émouvait de la croissance exponentielle de la population humaine. Verhulst proposa une autre forme de croissance, la croissance logistique. Ce que nous dit ce modèle, c'est qu'une croissance exponentielle confrontée à des limites (nourriture, espace) se régule automatiquement.

Le modèle de Verhulst est en temps continu : le temps y est représenté par une variable réelle, Équation en notation Latex : t, et la population à l'instant Équation en notation Latex : t est donnée par une fonction mathématique, c'est-à-dire un processus qui à la variable Équation en notation Latex : t fait correspondre une quantité notée Équation en notation Latex : f(t). La courbe représentative de la fonction Équation en notation Latex : f a une forme caractéristique en Équation en notation Latex : S, encore appelée sigmoïde. Elle commence à croître comme une exponentielle lorsque la population est encore petite, puis la courbure s'inverse et la courbe se rapproche d'une valeur limite Équation en notation Latex : K sans jamais l'atteindre.

Fonction exponentielle, fonction de Verhulst et fonction de Hubert
ComplémentVoir la formulation mathématique

La fonction Équation en notation Latex : f est la solution d'une équation qui relie l'accroissement instantané de la population à la population elle-même. L'accroissement instantané doit être pensé comme la vitesse de croissance de la population et il correspond à une opération mathématique, la dérivée ou différentielle, notée Équation en notation Latex : f′. L'équation logistique est :

\[f′(t)=af(t)(1−f(t)/K).\]

La croissance exponentielle y est régulée par une rétroaction négative (le signe - dans l'équation), qui fait intervenir un paramètre Équation en notation Latex : K, appelé capacité de charge. Lorsque cette capacité tend vers l'infini, le terme négatif tend vers Équation en notation Latex : 0 et on retrouve la croissance exponentielle :

\]f′(t)=af(t).\]

En pratique, les deux paramètres Équation en notation Latex : a et Équation en notation Latex : K doivent être ajustés à partir de données réelles de la même façon que l'on ajuste la pente d'une droite passant par des points qui semblent alignés (régression linéaire). L'accroissement instantané, la fonction dérivée Équation en notation Latex : f′, a une courbe représentative en forme de cloche, symétrique par rapport à son maximum, connue sous le nom de courbe de Hubert.

Le géophysicien américain Marion King Hubert trouva la fonction logistique pertinente pour représenter l'extraction cumulée de pétrole, laquelle est clairement limitée par la quantité totale de pétrole existant. Hubert en déduisit que la production de pétrole, représentée par la courbe en forme de cloche qui porte aujourd'hui son nom, passe par un pic avant de chuter. Il avait même estimé que la production de pétrole aux Etats-Unis passerait par un pic en 1970 !

Le modèle logistique, modèle phare de la dynamique des populations, a aussi été utilisé pour analyser l'épuisement des ressources ou illustrer la diffusion d'une innovation. Mais bien sûr un modèle aussi simple ne donne qu'une représentation grossière de la réalité, et ne permet pas de prédictions précises. Il permet toutefois d'estimer des échelles de temps et soulève des questions fondamentales (Halloy, 2018).

Des modèles à l'échelle planétaire

« Essentially all models are wrong but some are useful. », George E. P. Box

Une de ces questions fondamentales est la suivante : les ressources planétaires étant limitées, est ce que la population humaine va gentiment suivre une courbe logistique et se stabiliser autour de sa capacité de charge maximale ou la dépasser puis chuter plus ou moins brutalement ?

Pour répondre à cette question, des chercheurs du MIT ont conçu le modèle mathématique World3, qui a servi à l'écriture du livre "The Limits to Growth" (1972). Ce modèle relève d'une discipline toute jeune, la dynamique des systèmes, née dans les années 50 au MIT. L'avènement des premiers ordinateurs autorise alors les chercheurs à s'attaquer à des problèmes complexes, ici à l'échelle planétaire et sur des temps longs. D'après ce modèle, la croissance exponentielle de la production industrielle pourrait effectivement conduire à un dépassement des capacités de charge, et un effondrement, qu'il faut entendre comme une chute, plus ou moins rapide, de la population et de la production.

Courbes obtenues avec Wolrd3 et présentées dans "The limits to growth"

Dans World3, le "système monde" est représenté par des réservoirs (population, capital, ressources naturelles et non-naturelles, richesses, pollution), qui communiquent entre eux par des flux de matières et des effets positifs ou négatifs. Ce modèle est fondé sur l'hypothèse d'une capacité maximale de la planète à produire certaines ressources indispensables à l'humanité. Les interactions sont régies par des lois mathématiques simples, comme la croissance logistique.

Il s'agit donc d'un modèle extrêmement simplifié, qui agrège des réalités bien différentes sous une même bannière. Il n'y a pas non plus de moyen rigoureux de vérifier la calibration du modèle : le choix des paramètres clefs et des différentes rétroactions. Cependant, il colle assez bien aux mesures réelles observées depuis, et il fournit des indices intéressants comme l'inertie du système monde ou le rôle majeur de la pollution dans un certain nombre de rétroactions négatives. Comme le souligne cette vidéo de Heu?reka, il porte un message qui parle aux scientifiques : l'humanité doit se donner des objectifs de développement en accord avec les contraintes de la nature. Il a aussi promu une approche systémique des questions environnementales.

À partir des années 50 l'approche systémique, jusque là plutôt réservée à l'ingénierie, s'est répandue à d'autres domaines ; l'évolution du développement humain comme nous venons de le voir, mais aussi l'étude du climat qu'il ne faut pas confondre avec la météo. Dans l'étude du climat, on s'intéresse à des moyennes, des statistiques, pas à des événements localisés ou ponctuels. Historiquement, le premier modèle atmosphérique date de 1950, et a été testé sur le premier ordinateur existant, l'ENIAC. Depuis lors, les modèles de climat n'ont cessé de s'enrichir et incluent maintenant cinq composantes principales : l'atmosphère, les surfaces continentales, l'hydrosphère, la cryosphère, et la biosphère. Ces composantes échangeant entre elles en eau, chaleur, composés chimiques, ...

Contrairement au modèle World3, les équations qui régissent les interactions entre les différentes grandeurs caractéristiques, sont les équations de la physique, et les paramètres clefs sont calibrés sur des données historiques. La résolution numérique de ces équations complexes nécessite le découpage de la surface de la terre, des océans et de l'atmosphère en petits cubes qu'on appelle les mailles. Plus les mailles sont petites, plus les calculs sont précis et fiables. Le nombre de mailles utilisé dans les modèles de climat a augmenté de façon exponentielle au fil des années ! Aujourd'hui une quarantaine de modèles différents sont développés dans le monde, dont celui de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) en France (SimClimat). L'IPSL propose une version simplifiée de son modèle à usage pédagogique.

Les émissions de GES apparaissent comme des perturbations extérieures au système, et ces modèles simulent les différents scénarios de réduction de ces émissions, qui ont été présentés dans les différents rapports du GIEC. Ces modèles sont imparfaits, parce que certains phénomènes physiques sont encore mal compris et à cause des incertitudes liées aux modélisations numériques. Mais là encore, l'objectif n'est pas de faire des prévisions quantitatives, mais d'obtenir des ordres de grandeurs, qui permettent de comprendre l'influence sur le climat de nos choix de développement. Et ils jouent parfaitement ce rôle.

Changement global de température selon différents scénarios du GIEC calculés par le CMIP
ComplémentBibliographie

Articles

Ouvrages

Pages web

  • Insightmaker, The World3 Model Classic World Simulation, url [09/02/2022]

Rapports

Vidéos

Villani, 2021

Cedric Villani. L'informatique durable n'existe pas encore [en ligne]. Libération, 2021. Disponible sur le site de Libération [09/02/2022]

Olivi, 2020

Martine Olivi. Des expériences pour mieux appréhender la croissance exponentielle [en ligne]. Pixees, 2020. Disponible sur Pixees [09/02/2022]

Shift Project, 2021

Shift Project. Impact environnement du numérique : tendance à 5 ans et gouvernance de la 5G, 2021, url [09/02/2022]

Rétroaction

Une rétroaction, c'est l'action en retour d'un effet sur le mécanisme qui lui a donné naissance

L'effet rebond
Introduction

Les solutions visant à réduire nos impacts environnementaux peuvent s'appuyer sur deux dimensions :

  • la dimension technologique dans les démarches d'amélioration de l'efficacité (suivant le contexte on parle aussi d'efficience) qui rend les usages plus économes en ressources et moins émissifs en pollution, sans les remettre en cause. Il s'agit de « faire la même chose, voire plus, avec moins », c'est-à-dire de réduire la consommation « unitaire » de nos usages.

  • la dimension des usages dans les démarches de sobriété dans lesquelles il s'agit de « faire moins avec moins ».

Par exemple, la réduction de la consommation de carburant aux 100 km d'une automobile relève de la première dimension, alors que la réduction du kilométrage annuel relève de la seconde. L'effet rebond annule une partie voire la totalité des bénéfices environnementaux obtenus sur une des dimensions du fait d'effets « secondaires » sur l'autre dimension : améliorer les performances en terme de consommation d'un véhicule peut conduire à une « intensification » de son usage (augmentation du kilométrage annuel, de la vitesse moyenne, etc.).

Qu'est-ce que l'effet rebond ?

Une technologie plus efficace a tendance à être plus utilisée, par exemple à cause de la baisse des coûts d'utilisation. C'était déjà le constat que faisait W.S. Jevons pendant la révolution industrielle en Angleterre au XIXe siècle à propos des progrès d'efficacité énergétique de la machine à vapeur : ceux-ci avaient en effet conduit à une augmentation de la demande en charbon et non à l'inverse. Cette situation est appelée effet rebond (plus exactement effet rebond direct), ou paradoxe de Jevons en référence à cet exemple historique du charbon. Un exemple typique d'effet rebond est le trafic induit : une infrastructure de transport plus efficace peut causer une augmentation de la demande, c'est-à-dire du trafic routier. Ce phénomène empêche de résoudre les problèmes de congestion par simple augmentation des capacités routières.

L'exemple de la Katy Freeway à Houston : malgré ses 26 voies elle n'a pas permis de résoudre les problèmes de congestion à cause du trafic induit

Les exemples d'effet rebond dans le secteur du numérique sont nombreux (Flipo et Gossart, 2009) : depuis Eniac (le premier ordinateur entièrement électronique) la miniaturisation a rendu possible l'explosion du nombre d'objets électroniques (Gossart, 2014) (ordinateurs personnels, smartphones, objets connectés, etc.), les améliorations d'efficacité énergétique des réseaux de transmission combinées à celles des débits et des capacités de stockage ont permis l'explosion du trafic de données (Bol et al., 2021), etc.

Les effets rebond indirects

On parle d'effet rebond indirect lorsque des économies réalisées dans un domaine génèrent de la consommation dans un autre (Gossart, 2014). Ainsi une démarche de sobriété peut aussi être source d'effets rebond, du fait des économies réalisées qui sont réinvesties (qu'elles soient monétaires ou temporelles), ou du fait de leur effet déculpabilisant sur la consommation d'autres produits (Schneider, 2009). Par exemple remplacer la voiture par le vélo dans les déplacements quotidiens permet de faire des économies qui peuvent être utilisées pour réaliser des voyages lointains en avion pendant les vacances, ce qui annule les bénéfices environnementaux liés à l'usage du vélo.

Les causes de l'effet rebond

L'effet rebond peut se produire lorsqu'une ou plusieurs limites à l'usage et/ou à la production sont repoussées (Schneider, 2009). Ces limites peuvent être économiques, physiques, techniques, psychologiques, sociologiques, réglementaires, etc. À l'échelle macro-économique, l'effet rebond se traduit par une augmentation de l'activité économique, si bien qu'il empêche le découplage (absolu) entre croissance et impacts environnementaux (Brockway et al., 2021). L'effet rebond ne s'explique pas uniquement comme résultant de la somme des comportement individuels, il a aussi des origines plus structurelles dans les politiques de croissance (Schneider, 2009), les stratégies commerciales, l'effet des marchés et de la financiarisation, les normes sociales, techniques, et réglementaires (Wallenborn, 2018).

Mesurer et prévoir l'effet rebond

L'ampleur de l'effet rebond est définie comme la part des gains potentiels qui est annulée par l'augmentation de l'usage, et on parle de backfire lorsque celle-ci excède 100% c'est-à-dire lorsque les gains potentiels sont plus que contrebalancés par les effets négatifs. Prévoir cette ampleur est utile pour anticiper la réalité des gains qu'on peut espérer d'une solution, mais cela reste (très) difficile. L'approche courante pour y parvenir fait appel à des modélisations économiques qui ne sont pas conçues pour rendre compte de changements sociétaux profonds (Briens , 2015) (or ce sont d'eux dont nous avons probablement besoin, par exemple pour décarboner nos économies).

Pour comprendre et prévoir l'effet rebond, étudier les tendances historiques se révèle aussi très utile. Elles nous montrent par exemple que l'optimisation continue des infrastructures et des équipements numériques ne permet pas de compenser l'accroissement des usages, si bien que l'empreinte carbone globale de nos réseaux, de nos centres de données, et de nos équipements terminaux tend à augmenter (Bol et al., 2021). Plus généralement l'histoire des techniques nous montre comment les usages s'empilent et se complémentent plus qu'ils ne se substituent (Fressoz, 2021).

Quand peut-on s'attendre à un effet rebond ?

L'effet rebond risque de se manifester dans les solutions de type « gagnant-gagnant », plus particulièrement celles qui :

  • conduisent à des gains d'argent, de temps (effets d'accélération), d'espace (miniaturisation)

  • apportent de nouvelles fonctionnalités (génératrices de nouveaux usages)

  • incitent à plus d'usage par des performances ou un confort d'utilisation accrus.

Comment limiter l'effet rebond ?
  • sensibiliser à l'effet rebond, inciter à conscientiser les intentions (sont-elles écologiques ? économiques ?)

  • penser de façon systémique et à des échelles larges (donc à l'échelle collective plutôt qu'individuelle)

  • favoriser les solutions « low-tech » (car elles évitent en général de générer de nouveaux besoins)

  • flécher les budgets économisés (en argent ou en temps) vers d'autres améliorations environnementales pour lutter contre les effets rebond indirects.

Flipo et Gossart, 2009

Fabrice Flipo, Cédric Gossart. Infrastructure numérique et environnement : l'impossible domestication de l'effet rebond. [en ligne]. Terminal. Technologie de l'information, culture & société, 2009. Disponible sur Hal [28/01/2022]

Gossart, 2014

Cédric Gossart. Rebound effects and ICT: a review of the literature. ICT Innovations for Sustainability, 2014. Disponible sur hal [28/01/2022]

Bol et al., 2021

David Bol, Thibault Pirson, Rémi Dekimpe. Moore's Law and ICT Innovation in the Anthropocene [en ligne]. IEEE Design, Automation and Test in Europe Conference, 2021. Disponible sur le site de l'Université de Louvain [28/01/2022]

Schneider, 2009

François Schneider. Sur l'importance de la décroissance des capacités de production et de consommation dans le Nord Global pour éviter l'Effet Rebond [en ligne]. La décroissance économique pour la soutenabilité écologique et l'équité sociale, Mylondo (Ed), Recherche et Décroissance, Collection Ecologica, Editions du Croquant, 2009. Disponible le site [28/01/2022]

Brockway et al., 2021

Paul Brockway, Steve Sorrell, Gregor Semieniuk, Matthew Kuperus Heun, Victor Court. Energy efficiency and economy-wide rebound effects: A review of the evidence and its implications. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2021. Disponible sur hal [28/01/2022]

Wallenborn, 2018

Grégoire Wallenborn. Rebounds Are Structural Effects of Infrastructures and Markets. Frontiers in Energy, 2018. Disponible sur le site du journal [28/01/2022]

Briens , 2015

La section 2.3 du chapitre 2 de la thèse de François Briens (p. 81) décrit plus en détail les limites des modélisations économiques usuelles en présence de ruptures profondes. Cette thèse est disponible sur la base de thèse en ligne [23/07/2021]

Fressoz, 2021

Jean-Baptiste Fressoz. Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles. Annales des mines, série responsabilité et environnement, 2021. Disponible sur hal [28/01/2022]

Hamant, 2020

Olivier Hamant. La rétroaction, un concept clé pour comprendre le vivant, de la cellule à la planète [en ligne]. Inrae, 2020. Disponible sur le site d'Inrae [09/02/2022]

Li, 2014

Laurent Li. Les rétroactions sont-elles prises en compte dans les modèles ? [en ligne]. Le climat en questions (IPSL), 2014. Disponible sur le site Le climat en questions [09/02/2022]

Institut Pierre-Simon Laplace, 2020

Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), Tutoriel SimClimat no 3 : Les rétroactions climatiques, 2020. 9:16. url [09/02/2022]

Combris, 2020

Hélène Combris. Le jour du dépassement recule de trois semaines. France Culture, Covid-19, retour sur Demain la terre du 13/04/1974, mis à jour 2020 url [09/02/2022]

Accroissement instantané

Variation d'une quantité qui varie au cours du temps rapporté à une variation de infinitésimale de temps

Halloy, 2018

José Halloy. L'épuisement des ressources minérales et la notion de matériaux critiques [en ligne]. La rue nouvelle, 2018. Disponible sur le site revuenouvelle.be [09/02/2022]

Système

Un ensemble d'éléments interagissant entre eux selon certains principes ou règles. Un système composé d'un grand nombre d'éléments et d'interaction et qualifié de complexe

Mitteau, 2020

Gilles Mitteau, Heu?reka : Modéliser l'avenir de l'humanité, 2020. 1:13:15. url [09/02/2022]

Hydrosphère

Les océans, lacs, rivières, nappes d'eau souterraines ...

Cryosphère

Les glaces terrestres ou marines, le manteau neigeux

Biosphère

Tous les organismes vivants dans l'air, sur terre et dans les océans

SimClimat

Laboratoire de Météorologie Dynamique, SimClimat : un logiciel pédagogique de simulation du climat, mise à jour 2020, url [09/02/2022]

Barré, 2014

Sylvain Barré. Inverser la courbe [en ligne]. Image des Maths (CNRS), 2014. Disponible sur le site Images des Mathématiques [09/02/2022]

Perrin, 2018

Daniel Perrin. La suite logistique et le chaos [en ligne]. Département de Mathématiques d'Orsay, 2018. téléchargeable en ligne [09/02/2022]

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Donella Meadows, Jorgens Randers, Dennis Meadows. Limits to Growth - The 30-Years Update [en ligne]. Dennis Meadows, 2004. Disponible en ligne [20/07/2021]

GreenIT, 2019

GreenIT, Empreinte mondiale du numérique, 2019 url [09/02/2022]

Shift project, 2020

Shift project, Déployer la sobriété numérique, 2020, url [09/02/2022]

Meyer, 2016

Rodolphe Meyer, Le réveilleur. Modèles climatiques, 2016, 10:30. url [09/02/2022]

Le découplage : une solution à la crise climatique ?

Introduction

Face à la tension entre les impacts environnementaux de l'activité économique d'une part, et la contrainte de croissance économique de l'autre, un concept s'est progressivement imposé dans le débat public et scientifique, celui de découplage. Celui-ci renvoie :

  • à la capacité de réduire le besoin en ressources en amont de l'activité économique,

  • et à la capacité de réduction des impacts de celle-ci sur l'environnement et les écosystèmes en aval, dus notamment à différents types de pollution, dont les gaz à effet de serre (responsables du changement climatique) sont les plus connus.

Découpler, c'est donc dématérialiser l'activité économique. Le numérique, vu à tort ou à raison comme propre et en partie immatériel, fait l'objet de nombreux espoirs pour réaliser les ambitions de découplage, dans la mesure où développer la part des services numériques dans de nombreux secteurs d'activité est censé réduire leur matérialité.

Cependant, la notion même de découplage fait débat. L'objectif de cette fiche est de présenter succinctement les raisons de ce débat et les éléments scientifiques permettant d'évaluer la réalité et l'étendue des possibilités de découplage.

Constats et définitions

Le lien entre croissance de l'activité économique, usage des ressources et dommages environnementaux est bien établi, même si des incertitudes variées demeurent dans certains domaines.

La croissance économique est caractérisée par le Produit Intérieur Brut (PIB), évalué à l'échelle des différents pays, et agrégé au niveau mondial pour définir un PIB global. Ce PIB mesure la valeur monétaire de l'ensemble des échanges de biens et services effectués en une année.

Les prélèvements de ressources se mesurent en quantité produites sur un an (par exemple, tonnes de métaux par an, barils de pétrole par an, etc).

La mesure des impacts environnementaux est plus difficile, et elle est souvent remplacée par une mesure de pression (par exemple, la pression mesurée en tonne de pesticides par an, est utilisée à la place des impacts produits par les pesticides en question sur la biodiversité et la santé humaine, beaucoup plus difficiles à quantifier, même si l'existence de ces impacts est établie).

L'exemple le plus connu de couplage entre économie et usage des ressources concerne le lien entre PIB et usage des combustibles fossiles. La figure (a) illustre ce point via la corrélation entre PIB et énergie primaire, sachant que les ¾ de l'énergie primaire mondiale proviennent des combustibles fossiles.

L'exemple le plus connu de couplage entre économie et impacts est celui de la corrélation similaire existant entre PIB et émissions de gaz carbonique (non montré, la courbe est similaire).

La notion de découplage est quant à elle abordée selon deux angles :

  • On distingue le découplage par rapport aux ressources du découplage par rapport aux impacts. Selon les cas, en effet, le point critique se situe plutôt en amont (ressources) ou en aval (impact) des échanges économiques. Par exemple, les ressources non renouvelables (combustibles fossiles, ressources minérales diverses) ont une tendance inéluctable à s'épuiser sur le long terme, même si les progrès de la technologie permettent de compenser la perte de qualité ou la difficulté accrue d'exploitation des ressources restantes sur un temps plus ou moins long. La question de la disponibilité des ressources non renouvelables est donc inévitable à terme. À l'autre bout de la chaîne, les pollutions toxiques diverses peuvent s'accumuler beaucoup plus vite que les ressources non renouvelables nécessaires à leur production ne se raréfient ; dans ce cas, les impacts représentent le facteur le plus critique du problème.

  • On parle de découplage relatif lorsque l'usage de la quantité d'intérêt (par exemple, l'énergie primaire) couplée à l'économie croît moins vite que l'économie elle-même.

  • On parle de découplage absolu lorsque l'usage de cette quantité d'intérêt décroît dans l'absolu alors que l'économie croît.

L'exemple le plus connu de découplage relatif porte sur la décroissance de l'intensité carbone de l'économie au niveau mondial, illustré sur la figure (b) : la quantité de combustibles fossiles nécessaire par point (pourcent) de PIB décroît avec le temps d'environ 1 % par an en tendance de long terme, et la quantité de CO2 émise décroît à un rythme similaire, comme le montre la figure. Cette modeste diminution se traduit par une légère augmentation de la pente de la courbe de la figure (a). Un découplage absolu se traduirait lui par une inversion de pente : décroissance de l'énergie primaire fossile alors que le PIB continuerait de croître. La seule période historique où un découplage absolu de ce type a été observé au niveau global correspond au second choc pétrolier de la fin des années 1970 et n'a duré que quelques années.

Ce léger découplage relatif de long terme de 1 %/an est dû à différents facteurs, notamment les gains d'efficacité énergétique dans le secteur productif (secteurs primaire et secondaire), et la croissance du poids des services et de la finance (secteur tertiaire) dans l'économie mondiale, ces activités étant par nature moins intensives en énergie.

(a) Corrélation entre PIB et utilisation d'énergie primaire ; (b) Évolution de l'intensité carbone moyenne de l'économie. L'efficacité carbone moyenne du PIB décroît d'environ 1%/an depuis une cinquantaine d'années.
Découplage relatif et absolu : état des lieux

La raréfaction des ressources non renouvelables de même que l'accumulation de pollutions dans l'environnement sont des phénomènes inéluctablement liés à l'activité humaine, et les tendances actuelles ne sont pas durables. Il n'existe donc qu'une alternative : soit réduire l'activité humaine, essentiellement l'activité économique, soit parvenir à un découplage absolu entre PIB et usage des ressources d'une part, et PIB et impacts environnementaux et sanitaires de l'autre. Le premier terme de l'alternative (réduire l'activité économique) n'est pas considéré comme acceptable par la plupart des responsables politiques et économiques, ce qui fait du découplage la seule option réellement discutée. Sans porter de jugement de valeur sur ce point, il convient néanmoins de noter que cette position normative s'accompagne immanquablement d'une absence d'évaluation des possibilités réelles de découplage absolu dans le discours public.

Dans cette section, certains éléments d'information sur la faisabilité d'un tel découplage sont brièvement passés en revue. La discussion est limitée au découplage entre PIB et émissions de gaz à effet de serre pour des raisons de longueur. Ce découplage est le mieux connu et le plus discuté ; viennent ensuite, par ordre décroissant d'information, les questions de ressources matérielles, notamment minières, puis finalement les questions de pollution, très mal quantifiées. Le lecteur intéressé pourra à ce sujet se reporter à deux études critiques récentes et fouillées portant sur l'ensemble des problèmes liés à la question du découplage (Vadén et al., 2020 et Parrique et al., 2019).

Les tendances des deux dernières décennies des pays de l'OCDE et de l'Union Européenne en particulier sont a priori positives. Les émissions de CO2 stagnent ou diminuent par habitant depuis une dizaine ou une quinzaine d'années (Wood et al., 2019). Cette évolution est due à plusieurs facteurs : outre les gains tendanciels du secteur productif (intra-OCDE, mais également en ce qui concerne les importations de produits finis asiatiques), les taux d'équipement en biens individuels et en équipements collectifs structurels (notamment réseaux et bâtiments) saturent, la croissance économique est en général faible dans ces pays, et largement portée par la croissance des services, dont l'intensité carbone est plus faible que celle des secteurs productifs.

Pour autant, ces tendances sont très difficilement généralisables à l'ensemble de l'économie mondiale. Le poids tendanciel est porté par les économies émergentes, la Chine au premier chef. Celle-ci est encore loin d'avoir atteint la saturation d'équipements individuels et collectifs caractérisant les pays développés. De plus, découpler le PIB de l'énergie primaire au-delà de l'évolution tendancielle de 1% par an mentionnée plus haut est extrêmement difficile sur le long terme. De ce point de vue, il est en pratique impossible de limiter le réchauffement climatique à 2°C par des gains d'efficacité énergétique de ce type dans le temps qui nous reste (vingt à trente ans (Figueres et al., 2017 et Masson-Delmotte et al., 2021)) : avec un PIB mondial en croissance de 2% par an, il faudrait réaliser des gains d'efficacité énergétique de l'ordre d'environ 5 à 7% par an, chiffre qui ignore par ailleurs les inévitables effets rebond (Voir la fiche concept L'effet rebond pour plus de détail) qui accompagneraient de tels gains.

La seule option pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement climatique est de décarboner l'économie, et donc de généraliser à marche forcée la transition aux énergies renouvelables. La possibilité d'une telle transition n'est cependant pas démontrée de façon crédible à ce jour, tant en terme de déploiement (Heard et al., 2017 et Smil, 2016) que d'accessibilité aux ressources, les énergies renouvelables nécessitant considérablement plus de métaux que les énergies fossiles pour une production énergétique donnée (Vidal, 2018). Les problèmes discutés dans les trois dernières références portent exclusivement sur des problématiques de rythme de déploiement technologique et d'accessibilité aux ressources dans lesquels le numérique ne joue essentiellement aucun rôle. En conséquence, le numérique n'a qu'une influence marginale sur la problématique du découplage absolu, et un rôle au mieux ambigu et pour l'instant globalement négatif sur la problématique du découplage relatif (l'augmentation du rôle du numérique dans l'économie de service se traduit par une augmentation des impacts directs, indirects et systémiques du numérique ; voir la fiche concept L'effet rebond et la fiche concept Qu'est ce que l'effet d'accélération ?.

Vadén et al., 2020

T. Vadén, V. Lähde, A. Majava, P. Järvensivu, T. Toivanen, J. T. Eronen. Raising the bar: on the type, size and timeline of a 'successful' decoupling. Environmental Politics [en ligne], 2020, voL 30, n°3. Disponible sur abonnement sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Parrique et al., 2019

T. Parrique, J. Barth, F. Briens, C. Kerschner, A. Kraus-Polk, A. Kuokkanen, J. H. Spangenberg. Decoupling debunked: Evidence and arguments against green growth as a sole strategy for sustainability [en ligne]. European Environmental Bureau, 2019. Disponible sur le site de l'EEB [13/09/2021]

Wood et al., 2019

R. Wood, D. D. Moran, J. F. D. Rodrigues, K. Stadler. Variation in trends of consumption based carbon accounts [en ligne]. Scientific Data, 2019, vol. 6, article 99. Disponible sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Figueres et al., 2017

C. Figueres, H. J. Schnellhuber, G. Whiteman, J. Rockström, S. Rajmstorf. Three years to safeguard our climate [en ligne]. Nature, 2017, 546, 593–59. Accessible sur le site de l'éditeur [13/09/2021]

Masson-Delmotte et al., 2021

V. Masson-Delmotte, P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M.Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, B. Zhou (eds.) IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press. Version approuvée disponible [27/02/2022]

Estimation

Cette estimation résulte de la réduction annuelle nécessaire pour atteindre zéro émissions, à laquelle il convient d'ajouter le surcroit d'émissions dû aux 2% de croissance mondiale annuelle. Ce chiffre ignore volontairement la possibilité de séquestration ultérieure du carbone, nécessaire dans les scénarios volontaristes de réductions des émissions. Ces techniques sont malheureusement très coûteuses tant économiquement qu'énergétiquement, partiellement inefficaces du fait des émissions de méthane négligées, et toujours non réalisables à échelle industrielle malgré les budgets considérables alloués à leur développement (Wikipedia, Carbon capture and storage).

Effet rebond

L'effet rebond désigne la propension de l'activité économique à augmenter l'usage d'une ressource ou la diffusion d'un produit lorsque des gains d'efficacité dans l'usage de la ressource sont réalisés par unité de production du produit.

Généralisation du nucléaire

La généralisation du nucléaire au niveau mondial comme source d'énergie soulève des problèmes de rythme, de coût et d'abondance de la ressource, de stockage des déchets et de prolifération des armes nucléaires, et la fusion nucléaire n'est toujours pas opérationnelle malgré plus d'un demi-siècle de recherche et développement.

Heard et al., 2017

B. P. Heard, B. W. Brook, T. M. L. Wigley, C. J. A. Bradshaw. Burden of proof: A comprehensive review of the feasibility of 100% renewable-electricity systems. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2017, 76** : 1122.

Smil, 2016

V. Smil. Examining energy transitions : A dozen insights based on performance. Energy research and social science, 2016, 22, 194 : 197

Vidal, 2018

O. Vidal. Matières premières et énergie : les enjeux de demain. ISTE Editions, 2018.

Qu'est-ce que l'effet d'accélération ?
Introduction

L'une des caractéristiques de la révolution industrielle sur les deux derniers siècles est un accroissement considérable et continu de l'usage des ressources naturelles et des pollutions. Récemment le terme de « Grande Accélération » a été introduit pour désigner l'ampleur spectaculaire atteinte par ce phénomène depuis la deuxième moitié du XXe siècle (Steffen et al., 2015), tant en ce qui concerne le prélèvement des ressources (métaux et énergies fossiles, mais également biomasse, ressources en eau, etc) que les impacts environnementaux associés (déforestation, dégradation des sols, perte de biodiversité, pollutions diffuses diverses et toxiques, etc), comme le montre la première figure. Ces prélèvements et impacts sont liés à l'augmentation de la population et de ses besoins par habitant, et leur traduction dans toutes les sphères de production de biens et de services économiques (cf deuxième figure).

Évolution de différents indicateurs du système Terre sur la période longue de la révolution industrielle (1750-présent)
Tendances socio-économiques sous-tendant les évolutions représentées sur la période longue de la révolution industrielle (1750-présent)

Les données et les figures originales proviennent de l'article de Steffen et al. (2015). L'adaptation française est due à Servigne et Stevens (2015).

C'est dans ce contexte de dégradation généralisée des écosystèmes et des ressources naturelles que l'on entend fréquemment parler d'une synergie possible entre transition écologique et transition numérique, notamment dans le discours public, comme par exemple dans le cadre de la récente « Feuille de route numérique et environnement » du gouvernement français. La présente note vise à examiner de façon critique les angles morts de cette idée.

Numérique et Grande Accélération

La notion de synergie entre transition numérique et transition écologique est problématique au niveau même de sa formulation. En effet, la juxtaposition de ces deux "transitions" suggère que le fait numérique est encore émergent, puisque la transition écologique n'est elle pas encore en chemin. Ce faisant, cette juxtaposition vise à mettre sur le même plan un futur du numérique et un futur de l'environnement, le futur environnemental souhaité étant la préservation du climat, de la biodiversité et plus généralement de toutes les composantes de notre environnement, et le futur numérique reposant lui sur la généralisation de la virtualisation, notamment via la 5G dont la puissance attendue présuppose une révolution des usages.

Ce rapprochement est en soi étrange : dans un cas (l'environnement), le futur souhaité est un renversement de tendance, dans l'autre (le numérique), au contraire, une accélération, ce qui suppose au minimum une absence de liens de causalité entre ces deux dynamiques (accélération du numérique et de la destruction environnementale). Un examen de l'histoire récente ouvre une première brèche critique dans ce présupposé. Dans les faits le numérique est constitué d'un ensemble de technologies qui nous accompagnent sous forme mature depuis plusieurs décennies, et la 5G n'est qu'une étape supplémentaire dans ce processus. Le calcul numérique émerge au moins dans le secteur de la recherche depuis les années 1970 (et antérieurement dans le domaine militaire) ; les ordinateurs individuels puis portables depuis le milieu ou la fin des années 1980 (le premier MacIntosh date de 1984) ; Internet est commercial depuis 1995 et a pénétré dans toutes les sphères de l'activité privée et de l'activité économique à une vitesse probablement inégalée dans le passé ; les téléphones portables existent depuis les années 1980 et l'invention des batteries Lithium-Ion au début des années 1990 couplée à la montée en puissance des réseaux de télécommunications sans fil a permis la démocratisation et l'explosion de la vague actuelle de smartphones depuis le tournant du siècle.

En bref, la seule tendance historiquement visible est une évolution parallèle de la Grande Accélération et du développement des technologies numériques et sans fil. Plus précisément, les deux dernières décennies au moins sont caractérisées par une forte corrélation entre la part des technologies de l'information et de la communication dans le PIB et le PIB lui-même, sans infléchissement notable de l'intensité carbone du PIB, ou de son intensité matière (Lange et al., 2020). Si le numérique avait les vertus qu'on lui prête au niveau espéré, on aurait déjà dû en voir les effets au moins sur ces deux indicateurs (Roussilhe, 2021).

Cet argument souligne sur le passé récent à la fois une corrélation entre numérique et économie, mais également une causalité qui va à l'encontre de l'effet recherché : en effet ces éléments indiquent, bien que de façon indirecte, que le numérique contribue à l'accélération de l'économie et de ses impacts. Ces remarques interrogent donc directement la logique qui sous-tend le rapprochement impliqué par cette supposée synergie pour le futur, même en laissant de côté la notion de transition.

Pour aller plus loin dans cette analyse, il convient d'interroger plus directement et de façon plus précise les liens de causalité dont on vient de donner quelques indices indirects. Cette interrogation porte sur deux points : les impacts environnementaux directs du numérique, et le rôle du numérique dans les autres secteurs d'activité économique, notamment son rôle systémique. Les impacts directs du numérique, de même que les effets rebonds associés à celui-ci sont de plus en plus documentés dans la littérature (Groupe EcoInfo, 2013 - Longaretti et Berthoud, 2021, par exemple) et le lecteur est renvoyé à celle-ci, de même qu'à la fiche concept sur la question (voir la fiche concept L'effet rebond). Mais il ne s'agit là que de la pointe émergée de l'iceberg. La problématique des effets systémiques est beaucoup plus importante, mais également plus délicate à quantifier et moins bien connue, tant en termes de recherche que dans le grand public. Néanmoins, même un examen superficiel de la question montre que le numérique agit comme accélérateur de la Grande Accélération, en accord avec les indices indirects donnés plus haut.

En effet, cette accélération est un symptôme du consumérisme, dont l'une des grandes caractéristiques est l'accélération permanente de la production, de la circulation et de la mise au rebut des marchandises (parfois via leur obsolescence programmée). Il est clair que le numérique est, dans ses applications industrielles et commerciales, au service de cette accélération, qu'il s'agisse d'automatisation des process de fabrication, d'optimisation de la logistique à flux tendu, ou de publicité et vente ciblées, pour ne citer que quelques exemples connus mais irréalisables sans outil et applications numériques dédiées (Longaretti et Berthoud, 2021 - Flipo, 2020). Dans un tel monde les opérateurs de "Big Data" et de services associés jouent un rôle considérable. D'innombrables applications existent dans toutes les sphères de l'industrie, de l'économie des biens et des services, de la banque et de la finance, avec comme seul objectif cette accélération permanente de la production, de la consommation, des chiffres d'affaires et des profits. Le numérique n'est donc pas seulement les objets et les logiciels, mais aussi le rôle qu'il joue de façon diffuse dans l'ensemble de l'économie et de la société (et la définition de son périmètre, y compris en terme de poids dans le PIB, n'est pas simple) (Flipo, 2020). Lorsqu'une préoccupation environnementale (ou sociale) intervient, c'est soit sous la contrainte du législateur (qui génère toute une ingénierie d'évitement, les délocalisations n'en étant que l'aspect le plus connu), soit parce qu'elle permet de réduire les coûts de production (par exemple en réduisant la facture énergétique). De fait, le numérique est omniprésent dans la sphère économique mais son rôle est largement invisibilisé, les applications dédiées n'étant connues que des praticiens de chacun des segments très spécialisés et éclatés de l'économie financière et marchande moderne.

En fait pour inverser cette tendance lourde, il faudrait revenir sur les motivations sous-jacentes, à savoir le fondement consumériste et accumulateur des économies développées. Cette remise en cause est extrêmement difficile : elle est inscrite depuis maintenant deux siècles dans les fondements sociaux et institutionnels des États-nations, au moins en occident. C'est d'ailleurs précisément du fait de cette difficulté que la notion de découplage (entre croissance économique, usage des ressources et impacts environnementaux) est elle aussi de plus en plus souvent mobilisée dans le discours public, le numérique étant perçu dans cette perspective comme un moyen au service de ce découplage. Mais il s'agit là aussi d'un concept à portée opératoire très limitée (le lecteur est renvoyé à la fiche concept "Découplage : une solution à la crise climatique ?" pour plus de détails sur cette notion et ses limites).

Grande Accélération

L'expression (great acceleration en anglais) fait référence au célèbre ouvrage de Karl Polanyi, La Grande Transformation (The Great Transformation en anglais) qui décrit, à partir de l'exemple de l'Angleterre, l'émergence et la construction au cours des XIXe et XXe siècles de la « société de marché », à savoir une société dont le marché dans sa version capitaliste est le fait structurant par opposition aux sociétés antérieures où les échanges marchands ne sont qu'un aspect non central des rapports sociaux.

Steffen et al., 2015

W. Steffen, W. Broadgate, L. Deutsch, O. Gaffney, C. Ludwig. The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration. The Anthropocene Review, 2015, 2(1), pp 81-98. Disponible sur le site de l'éditeur sur abonnement [13/09/2021]

Servigne et Stevens, 2015

P. Servigne, R. Stevens. Comment tout peut s'effondrer. Editions du Seuil, 2015.

Produit Intérieur Brut (PIB)

Le Produit Intérieur Brut ou PIB mesure la valeur monétaire de l'ensemble des biens et services échangés en une année sur un territoire, en général un État.

Intensité matière

La notion d'intensité renvoie à un rapport entre deux quantités, en l'occurrence, les émissions de carbone par point de PIB pour l'intensité carbone du PIB.

Lange et al., 2020

S. Lange, J. Pohl, T. Santarius. Digitalization and energy consumption. Does ICT reduce energy demand? Ecological Economics, 2020, 176. Disponible en ligne sur le site de l'éditeur sur abonnement [21/06/2021]

Roussilhe, 2021

G. Roussilhe. Que peut le numérique pour la transition écologique ? [en ligne], 2021. Disponible sur le site de l'auteur [21/06/2021]

Rôle systémique du numérique

On parle de rôle systémique du numérique pour décrire son influence à la fois généralisée (dans tous les secteurs) et universelle (sur toute la planète). Cette caractérisation renvoie aussi à l'existence de circuits causaux génériques et eux-mêmes généralisés et universels, dont la description dépasse largement le cadre de cette note ; certains de ces circuits (voire une majorité) sont très peu voire pas du tout connus, dans l'état actuel de la recherche sur ces questions.

Groupe EcoInfo, 2013

Groupe EcoInfo. Impacts écologiques des technologies de l'information et de la communication. EDP Sciences, 2013

Longaretti et Berthoud, 2021

P-Y. Longaretti, F. Berthoud. Le numérique, espoir pour la transition écologique ? L'économie politique, 2021, 90, pp. 8-22. Disponible sur Hal [21/06/2021]

Flipo, 2020

F. Flipo. L'impératif de la sobriété numérique. L'enjeu des modes de vie. Editions Matériologiques, 2020.

Keucheyan, 2019

Keucheyan Razmig. 2019. Les besoins artificiels : comment sortir du consumérisme. Éditions La Découverte. https://www.editionsladecouverte.fr/les_besoins_artificiels-9782355221262.

Ingénierie et décroissance

La croissance de quoi ?

« La croissance vraie ne pose aucun problème : l'amour, la créativité, l'entraide, la connaissance, les explorations artistiques et scientifiques peuvent évidemment croître. [...] Mais la production délirante d'objets inutiles, devenus une fin et non plus un moyen, doit être nommée pour ce qu'elle est : une maladie. »

Barrau and Guilbaud, 2022

À quelles fins ?

« Disposer d'une source d'énergie presque inépuisable et essentiellement propre - par exemple la fusion nucléaire (projet ITER) - constituerait vraisemblablement la pire catastrophe possible. [...] En effet le véritable problème réside dans ce que nous faisons de l'énergie, pas dans son origine. L'énergie est en grande partie utilisée pour détruire les conditions d’habitabilité de la planète. Que la forêt soit rasée avec une énergie propre ou non est secondaire si elle est in fine rasée... »

Barrau and Guilbaud, 2022

Barrau and Guilbaud, 2022

Barrau Aurélien, Guilbaud Caroline. 2022. Il faut une révolution politique, poétique et philosophique. Éditions Zulma.

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