Quelle est l'empreinte environnementale d'un terminal aux différentes étapes de son cycle de vie ?

Introduction

Les impacts environnementaux associés au matériel informatique ne se limitent pas aux effets de leur consommation d'électricité lorsqu'on les utilise, loin de là ! Évaluer ces impacts nécessite de prendre en compte l'ensemble du cycle de vie de l'appareil : sa production, sa distribution, son usage et sa fin de vie.

De plus, il existe différents types d'impacts : diminution des ressources minérales exploitables, consommation d'eau, pollutions diverses, sans oublier bien-sûr les impacts environnementaux liés à la production de l'énergie utilisée tout au long du cycle de vie.

Nous présentons dans cette fiche le cas des terminaux (ordinateurs fixes avec écran, ordinateurs portables, smartphones, tablettes...), pour lesquels la phase de production concentre une large part des impacts environnementaux, y compris de ceux liés à la consommation énergétique des appareils (cf trois figures ci-dessous).

Remarque

Les chiffres présentés tout au long de cette fiche visent à fournir des ordres de grandeur des impacts environnementaux plus que des valeurs précises. Beaucoup sont obtenus en réalisant des analyses de cycle de vie (ACV), qui sont des processus complexes et dont la bonne compréhension du résultat nécessite un examen attentif. On trouvera des informations complémentaires dans la fiche concept L'analyse de cycle de vie.

Contribution au potentiel de réchauffement climatique (GWP: Global Warming Potential), exprimé en Kg éq CO2 à 100 ans, des différentes phases du cycle de vie d'un ordinateur portable Dell 7300 utilisé en Europe. Cette catégorie d'impact est directement liée aux aspects énergétiques, d'où l'importance de préciser la région d'usage car le mix énergétique n'est pas le même partout. On constate que la phase de production (Manufacture) prédomine. La fin de vie (EoL: End of Life) apparaît en négatif en raison de l'énergie récupérée lors de cette phase, par exemple par incinération des éléments plastiques.Informations[1]
Contribution au potentiel de réchauffement climatique des différentes phases du cycle de vie d'un smartphone, en l'occurrence l'iPhone 12 d'Apple, utilisé aux États-Unis. Dans le cas des smartphones, la phase de production représente une part encore plus grande des impacts.Informations[2]
Contribution au potentiel de réchauffement climatique des différentes phases du cycle de vie d'un smartphone Nokia Lumia 820 (région d'usage non précisée). On constate que l'assemblage des composants par le fabricant a un impact mineur par rapport à l'extraction des matières premières (Raw materials) et la fabrication des composants (Component manufacture).Informations[3]

La phase de production

La production va de l'extraction des matières premières jusqu'à la fabrication du bien considéré, en passant par des étapes intermédiaires telles que le traitement des matières premières, la fabrication des composants et leur transport.

Les composants à fort impact environnemental

Un terminal est principalement constitué de métaux, de matières plastiques et de matériaux céramiques (en particulier du verre). Plus d'une cinquantaine de métaux différents sont présents dans un ordinateur ou un smartphone, certains (cuivre, fer, aluminium) pour des fonctions dites structurelles, et d'autres pour des fonctions technologiques. Parmi ces derniers, on trouve des métaux mineurs (selon une classification économique des métaux) comme le tantale, l'indium, le lithium et le cobalt. On trouve également des métaux précieux en faible quantité (argent, or, palladium). On trouvera plus d'informations à ce sujet dans la fiche concept Quels métaux dans les smartphones ?.

Parmi les éléments qui composent un terminal, ceux dont la production est la plus impactante sont les cartes électroniques (en particulier les circuits intégrés qu'elles supportent), les écrans, les disques durs (pour les ordinateurs), et les batteries (ordinateurs portables, tablettes, smartphones), comme illustré par la figure ci-dessous.

Contribution des différents composants d'un ordinateur portable Dell 7300 au potentiel de réchauffement climatique. Les cartes électroniques (PWB, pour Printed Wiring Board) et le disque dur SSD sont responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre.Informations[4]

Il est à noter que les impacts environnementaux sont quasiment proportionnels à la surface de l'écran, ou encore à la taille du disque dur ou de la batterie. De façon générale, on observe une tendance au transfert de la consommation énergétique de la phase d'usage vers la phase de production : fabriquer des produits plus efficients énergétiquement nécessite des technologies plus avancées, plus énergivores à produire et basées sur un nombre accru de métaux, souvent présents en très petite quantité (Life Cycle Assessment of Dell Latitude 7300, synthèse de 2 pages).

La production des métaux

Les différentes phases de la production des métaux sont les suivantes : l'extraction du minerai, son concassage et son broyage en vue de la séparation de ses différents composants, puis la phase de concentration (également appelée enrichissement) du minerai par des moyens physiques et/ou chimiques : gravité, magnétisme, électrostatique, flottation, électrolyse, lixiviation (c'est-à-dire utilisation de solvants comme du cyanure ou de l'acide sulfurique pour séparer les métaux désirés), pyrométallurgie... Les impacts et les risques environnementaux associés sont considérables.

Tout d'abord, la consommation d'énergie (et donc ses impacts associés) est énorme à toutes les étapes, avec une grande disparité entre les différents métaux (par exemple 54 GJ/t en moyenne pour le cuivre contre 208 000 GJ/t pour l'or) (Dedryver et Couric, 2020)[5]. Cette énergie est nécessaire entre autres pour évacuer la terre et les roches (appelés morts terrains) afin d'accéder au minerai, puis pour extraire les quantités phénoménales de minerai dont on extrait le métal, sachant que la teneur en cuivre d'un minerai de bonne qualité peut être de seulement 0,25 à 0,50 %, (quelques centièmes d'un pour cent pour un minerai d'or de bonne qualité) (Guide pour l'évaluation des EIE de projets miniers). Au total, on estime qu'environ 10 % de l'énergie primaire mondiale est consacrée à extraire, transporter et raffiner les ressources métalliques (tous secteurs confondus) (Dedryver et Couric, 2020)[5].

Une mine de cuivre dans le centre de la Roumanie. La majorité des mines sont exploitées à ciel ouvert, par opposition aux mines sous-terraines (qui bien que minoritaires sont néanmoins nombreuses).Informations[6]

Deuxièmement, l'extraction minière est une activité qui nécessite une quantité massive d'eau, principalement pour les phases de broyage et de concentration du minerai. Or, d'après le Columbia Center on Sustainable Investment, environ 70 % des exploitations minières des six plus grandes compagnies se situent dans des pays en situation de stress hydrique (Dedryver et Couric, 2020)[5]. Ainsi, les besoins en eau pour la production de cuivre au Pérou et celle de lithium en Argentine, au Chili et en Bolivie entrent en conflit avec les besoins des populations locales.

D'autre part, l'extraction minière peut entraîner des pollutions graves des eaux de surface et souterraines, ainsi que de l'air et du sol. Ces pollutions sont dues principalement d'une part aux résidus miniers issus de la concentration du minerai, qui contiennent souvent des substances toxiques (par exemple du mercure ou de l'arsenic) susceptibles de s'écouler sous forme d'acide de mine, et d'autre part aux produits chimiques utilisés pendant la phase de concentration du minerai (ex : lixiviation au cyanure pour l'or, à l'acide sulfurique pour le cuivre).

Impacts humains. Enfin, il est impossible d'aborder la question des impacts environnementaux liés à l'extraction des métaux utilisés dans les appareils numériques sans évoquer les enjeux géopolitiques qui y sont associés et leurs conséquences sur les populations des régions concernées. Ainsi certains métaux et les minerais à partir desquels ils sont produits (le tantale, qui est principalement obtenu à partir de coltan, l'étain, le tungstène et l'or) font l'objet d'un règlement européen spécifique sur les minerais de conflits à cause du rôle qu'ils jouent dans le financement de conflits armés dans certaines régions instables du globe --- on citera le cas de la République Démocratique du Congo (RDC). Les tensions liées à l'eau, évoquées ci-dessus, sont également sources de nombreux conflits en Amérique latine.

Plus généralement, les réserves et les zones de production de certains métaux sont très inéquitablement réparties (Mineral Commodity Summaries 2021) : en 2019, le Chili et l'Australie représentaient 75% de la production et 66% des réserves mondiales de lithium, la RDC et le Rwanda 50% de la production de tantale (66% en 2017) et la RDC 69% de celle de cobalt (et plus de la moitié des réserves). La Chine assurait en 2010 98 % de la production mondiale de terres rares, contre 60% en 2019.

Une mine de coltan en République Démocratique du Congo. Cette mine, située à Luwowo, respecte la norme CIRGL-RDC qui garantit des minerais sans lien avec les conflits en cours dans la région.Informations[7]

La fabrication des semi-conducteurs

La fabrication des semi-conducteurs (aussi appelés circuits intégrés, ou simplement puces électroniques) est une activité de très haute technologie concentrée entre les mains d'un très petit nombre d'acteurs. Actuellement, seulement deux entreprises (Samsung en Corée du Sud et TSMC à Taïwan) fabriquent les semi-conducteurs de dernière génération (technologie inférieure à 7 nanomètres) utilisés dans les smartphones haut de gamme.

Le processus de fabrication d'une puce électronique peut se résumer ainsi : un die est obtenu en imprimant un circuit électronique miniaturisé (des transistors, des condensateurs etc.) sur une tranche de matériau semi-conducteur, en général du silicium, appelée wafer. L'extrême précision requise pour ces opérations nécessite des matériaux ultra purs. Cela influe sur l'énergie nécessaire à la production de ces matériaux, mais implique également une utilisation massive de produits chimiques et d'eau. L'entreprise taïwanaise TSMC consommait ainsi en 2019 plus de 150 000 tonnes d'eau par jour (TSMC Corporate Social Responsibility Report 2019). Les besoins en eau de l'industrie des semi-conducteurs constituent un problème majeur pour Taïwan qui a dû faire face à une sécheresse catastrophique en 2021, conduisant à des restrictions d'eau pour les habitants.

La phase d'usage

Un terminal en activité ne consomme généralement pas d'eau[8], n'émet (normalement) pas de substances toxiques... Ainsi, pendant sa phase d'usage, son impact environnemental direct se limite aux impacts associés à sa consommation d'électricité. Cette dernière varie[9] en fonction du type d'équipement, de l'utilisation qui en est faite, de la durée de vie du matériel, etc. Dans tous les cas, dans un pays comme la France où l'électricité est peu carbonée (mais au prix d'autres impacts environnementaux liés au fonctionnement des centrales nucléaires, sans parler des risques associés), les émissions de CO2 liées à la phase d'usage sont relativement limitées par rapport à la phase de production.

Il convient néanmoins de mentionner les impacts liés à l'utilisation d'un appareil connecté à un réseau de télécommunications (Internet, 4G...), qui va solliciter des équipements réseaux et des centres de données pour communiquer, télécharger des vidéos, accéder à des sites web etc. Ces infrastructures consomment elles aussi de l'électricité (la phase d'usage représentant une très large part de la consommation énergétique des infrastructures) mais également de l'eau pour le refroidissement, et leur production a des conséquences environnementales similaires à celles des terminaux présentée ci-dessus. Ce sujet est abordé dans la fiche concept L'analyse du cycle de vie appliquée aux services numérique.

La fin de vie

L'impact environnemental lié à la fin de vie d'un terminal dépend évidemment du sort de cet appareil une fois hors d'usage. De façon générale, il y a beaucoup d'inconnues sur les impacts environnementaux liés à la fin de vie des appareils numériques. Une première raison tient au manque de connaissances scientifiques sur la toxicité et l'écotoxicité de certains matériaux utilisés. Une seconde raison concerne les incertitudes sur le devenir des appareils numériques en fin de vie, aussi bien au sein des filières de traitement dédiées (où ils sont mélangés avec d'autres déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) comme des sèche-cheveux ou des bouilloires) qu'en dehors du cadre réglementaire (trafic illégal etc.).

Les risques de pollutions

Bien que la situation s'améliore (grâce à de nouvelles réglementations et aux efforts des constructeurs), de nombreux matériaux potentiellement toxiques pour les humains et pour les écosystèmes sont présents dans les terminaux : béryllium, cadmium, nickel, mercure, arsenic, argent, antimoine, chrome, plomb, etc. Les retardateurs de flamme bromés contenus dans certains plastiques sont également dangereux pour l'environnement en raison des gaz qu'ils émettent s'ils sont incinérés et des substances organiques qu'ils produisent s'ils se décomposent.

La filière DEEE

Les terminaux numériques font partie des équipements électriques et électroniques (EEE) et deviennent en fin de vie des DEEE (déchets d'EEE), pour lesquels une filière spécialisée de traitement existe afin de les valoriser ou de les éliminer. On trouvera des informations complémentaires dans la fiche concept Où en est-on du recyclage ?.

Les métaux majeurs (cuivre, plomb, fer, aluminium...) et les métaux précieux (or, argent, platine...) sont recyclés à plus de 50%. En revanche, les métaux mineurs (dont les terres rares) ne sont quasiment pas recyclés : moins de 1% par exemple pour l'indium, le néodyme, le tantale, le gallium et le germanium, et aucun recyclage pour d'autres métaux mineurs (Dedryver et Couric, 2020)[5].

Les deux principales difficultés techniques liées au recyclage des métaux du numérique sont d'une part l'identification par les industriels du recyclage de ces métaux qui font partie d'alliages de plus en plus complexes, d'autre part leur séparation des autres métaux. On parle d'ailleurs de décyclage (ou recyclage en boucle ouverte) car le procédé de séparation n'est pas parfait et certains métaux récupérés ne sont pas suffisamment purs pour être réutilisés dans des appareils numériques.

Un tel recyclage nécessite des technologies de pointe et des infrastructures extrêmement coûteuses (un milliard de dollars par exemple pour l'usine d'Umicore en Belgique, dont il n'existe pas d'équivalent en France) et énergivores, ainsi que la mise en place d'une chaîne logistique complexe pour acheminer les DEEE dans les différents centres de tri et de traitement.

Le devenir des DEEE hors filière spécifique

On estime qu'en 2019 environ 17% seulement des DEEE ont été pris en charge par les filières de traitement appropriées dans le monde (54% en France) (Forti et al., 2020)[10]. Les autres restent stockés chez les particuliers, sont mis en décharge, brûlés ou font l'objet d'un commerce illégal et d'un traitement non conforme aux normes. Signe de l'ampleur de ce problème, le commerce et le traitement illégal des DEEE est considéré par INTERPOL comme une menace majeure pour l'environnement.

Un exemple tristement célèbre de décharge à ciel ouvert où des DEEE (dont certains en provenance d'Europe) sont “traités” dans des conditions catastrophiques en termes de santé humaine et de respect de l'environnement se trouve à Agbobloshie au Ghana, dans la banlieue d'Accra. Les techniques d'extraction des métaux utilisées (brûlage à l'air libre, chauffage ou lixiviation en utilisant par exemple du sel de cyanure ou du mercure) sont souvent mises en place sans aucune mesure de sécurité. Il en résulte des pollutions similaires à celles que l'on peut trouver dans des mines : pollution de l'air, des sols (par dépôt de poussières), de l'eau (par ruissellement) par des métaux lourds, des dioxines, des composés bromés...

Incinération de câbles électriques pour en récupérer le cuivre à Agbobloshie au GhanaInformations[11]

Conclusion

On l'aura constaté, les impacts environnementaux d'un appareil numérique personnel (smartphone, ordinateur, tablette...) sont loin d'être négligeables. Ils sont en revanche largement invisibles pour les utilisateurs de ces appareils car la majorité des pollutions concerne les phases de production et la fin de vie et touchent des populations et des écosystèmes géographiquement éloignés des consommateurs.

Pour aller plus loin