Entre lowtechisation et technosolutionnisme (Les libres)
La vision "classique" actuelle est un récit : la croissance matérielle, le bonheur par la possession matérielle, le progrès technologique...
On peut lui opposer des "contre-récits" : on peut raconter des histoires de "sobriété heureuse" (cf l'ataraxie d'Epicure ou la médiété d'Aristote)
Il faut imaginer une évolution du rapport à la technique (on ne peut pas la nier, il n'y a pas d'humain sans technique, mais on peut imaginer un rééquilibrage du rapport homme-technique) (cf Illich, 1973[1])
On peut (on doit ?) conserver la dialectique lowtechisation / techno-solutionnisme car :
il faut faire avec le monde tel qu'il existe, en « hériter » et prendre le temps de « fermer » les récits dominants (cf Bonnet, Landivar, Monnin, 2021[2])
on ne peut parier sur la survie du monde qu'une direction est la bonne (pas de all-in) ;
et il est possible qu'on ait besoin d'aller-retour entre les deux.
Néanmoins on peut investir sur la lowtechisation aujourd'hui, à des fins de « rééquilibrage ».
Les libres, versant techno-solutionnisme (le monde de Richard et Whamai)
Un peu avant l’effondrement, on parlait de coloniser Mars, de la terraformer. Finalement, on avait fait l’inverse, on avait martiaformé la Terre. Ça faisait moins loin. On s’était pas fait chier.
Bien sûr, le processus de reterraformation était en marche, aux pôles essentiellement, mais ici, c’était encore trop tôt. Il faudrait encore mille ans. Environ. C’était pas demain. Les robots qui œuvraient sur et sous la Terre étaient parvenus à un équilibre, l’énergie solaire captée compensait leur propre consommation énergétique et permettait le recyclage des ressources. Petit à petit un excédent était dégagé pour faire place à la reterraformation. Whamai gérait tout ça. Elle maintenait un optimum et l’ajustait quand des paramètres évoluaient, ce qui était extrêmement marginal. On ne pouvait pas aller plus vite. En même temps, on était pas pressé. Richard s’y intéressait parfois un peu. La quantité de ressources mobilisées par un humain, si on comptait celles consommées par son IAM et son havre, représentait environ un millionième des ressources disponibles. Avec moins de deux mille humains sur Terre, c’était devenu négligeable.La mise en place d’un Jeu de la Poïétique mobilisait environ 50 % des ressources disponibles pendant un an pour la naissance des bibliothèques, des cités et des âmes-libres de première génération. Ensuite, l’ensemble de tous les archipels consommait moins de 0,5 % des ressources. Au total, l’existence des humains et du Jeu de la Poïétique mobilisait 1 % des ressources globales de la Terre et ralentissait l’évolution de la terraformation de 0,1 %. Bref, pas de quoi se flageller.
Les libres, Stéphane Crozat, C&F Éditions, 2022 · https://cfeditions.com/les-libres/
Whamai (World, Human And Machine Artificial Interface) : interface assurant la coordination entre tous les programmes informatiques présents sur Terre : IAM, robots, usines automatiques... La finalité de Whamai est la recréation puis la préservation d’une biodiversité optimisée.
Les libres, versant lowtechisé (le monde de Carole)
Chaque fois que Richard regardait les images de la Terre, il était stupéfait de ce qu’elle était devenue. Il avait 20 ans la première fois que son père l’avait emmené dans l’espace. Il s’était étonné alors que la Terre fut tellement couverte par les hommes qui l’habitaient et que s’y mélangeaient les couleurs les plus improbables. C’était il y a 2 000 ans. À présent la Terre était éteinte, terne dégradé de jaunes et de bruns, sauf aux pôles et, plus modestement, sur les côtes des océans, là où réapparaissaient des ombres vertes sous l’égide du processus de reterraformation. Les bibliothèques venaient briser la monotonie des déserts, comme de larges îles flottant à la surface. Chaque archipel était composé de cités dotées de technologies modestes, sans moteur, sans électricité. Seule l’IAM qui trônait dans chaque cité était un avatar du niveau technique du quatrième millénaire, mais les humains qui peuplaient les cités l’ignoraient, celles-ci faisaient simplement partie de leur environnement, comme le soleil, le sable sous leurs pieds, le vent sur leur visage. Elles étaient un élément. Entre les archipels, on pouvait distinguer les parcs solaires, immenses plaques argentées recouvrant les plaines, chaînes accrochées au cou des montagnes, mosaïques posées sur les dunes. Et en ajustant un peu on pouvait même apercevoir les havres, minuscules îlots de verdure où vivaient les derniers humains naturels, comme ils se nommaient à présent pour se distinguer de ceux créés pour chaque partie du Jeu de la Poïétique, et qu’ils appelaient les âmes-libres.
Les libres, Stéphane Crozat, C&F Éditions, 2022 · https://cfeditions.com/les-libres/
Cité : groupe de personnes vivant en communauté aux abords de la bibliothèque ; dans l'archipel de Richard, composée essentiellement de petites maisons individuelles, d’une place centrale, d’une IAM collective, d’un cimetière, d’un jardin dédié aux libérateurs.