Extraits de « Option libre »
Complément :
La section suivante est composée à partir d'extraits des pages 9 à 16 de l'ouvrage Option Libre[1].
L'œuvre relevant du droit d'auteur
Jusqu'à la Renaissance, les auteurs n'étaient envisagés qu'en tant que maillons d'une chaîne de créateurs et ils s'accommodaient d'autant plus facilement de l'anonymat que la faiblesse des moyens de diffusion de leurs créations les attachait à un public très limité. L'invention de l'imprimerie modifia profondément la donne pour les écrivains : il devenait possible de se faire connaître et de diffuser auprès d'un public beaucoup plus large. Le métier d'imprimeur devint une industrie florissante qui dut très rapidement faire face au développement de la contrefaçon - nouveau marché motivé par les enjeux financiers du premier. Cette industrie mobilisa ainsi l'attention du pouvoir royal sur l'importance de la reconnaissance d'un monopole d'exploitation qui leur permettrait de se prémunir contre cette « concurrence déloyale » (elle supportait en effet seule certains coûts préalables à l'impression des ouvrages) : ce fut la consécration des privilèges consentis aux imprimeurs (libraires) pour compenser leurs investissements. Dès lors, l'auteur n'était qu'indirectement bénéficiaire de cette protection, grâce à la rémunération qu'il tirait de l'édition de sa création, et n'avait pas de « prérogatives » en tant que telles.
Parallèlement apparut le concept d'« art » et, avec lui, la distinction entre artiste et artisan. Il a pris son essor au xviiie siècle, peu de temps avant l'apparition des premières lois consacrant un droit d'auteur. La première réforme en la matière est à l'origine du copyright anglais, le Statute of Anne (en 1710), rapidement suivi par d'autres initiatives similaires dans le monde entier.
Dans cette lignée, mais par opposition au régime antérieur qui profitait essentiellement aux libraires, le législateur révolutionnaire français consacra un véritable droit de propriété « inviolable et sacré » au profit de l'auteur, comme l'énonce clairement le projet de loi Le Chapelier : « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable (...) la plus personnelle de toutes les propriétés (...) l'ouvrage fruit de la pensée d'un écrivain ». Ce droit est néanmoins dès ses origines analysé comme un droit délimité : le droit de l'auteur de « disposer de l'ouvrage » étant défini comme une « exception, [car] un ouvrage publié est de sa nature une propriété publique ». Ainsi, c'est donc à la double consécration des droits de l'auteur et de ceux du public que procède la loi des 13-19 janvier 1791. L'idée du juste équilibre qui en découle est au cœur du nouveau système juridique mis en place : il s'agit de protéger le droit exclusif de l'auteur sur son œuvre tout en en limitant strictement la portée, ceci parce que « l'intérêt public exige aussi, au nom de la diffusion des œuvres, que le monopole ne soit pas éternel, et que l'œuvre puisse rentrer dans le domaine public. »
L'existence d'une œuvre confère des prérogatives particulières à son auteur (1.1.2) dès lors qu'elle remplit effectivement les qualités requises par la loi (1.1.1).
La qualification d'œuvre
L'objet du droit d'auteur est l'œuvre, celle-ci étant entendue comme une création originale. Il suffit donc qu'une idée soit 1) exprimée et 2) originale (empreinte de la personnalité de son auteur) pour que cette forme soit protégée.
La création par l'expression
Les idées sont de libre parcours et peuvent être utilisées par tous. Cela ne concerne néanmoins que les idées : la façon dont celles-ci sont exprimées - leur expression - est personnelle, voire originale. Par conséquent, les droits d'auteur sont susceptible de naître dès la conception de l'œuvre, même inachevée, sans aucune formalité au fur et à mesure que l'œuvre est exprimée.
Ainsi, l'auteur ne s'approprie pas les idées - qui sont des biens collectifs -, mais il apporte sa propre contribution à la communauté en partageant son expression personnelle desdites idées. La divulgation de son œuvre - la divulgation représentant la volonté de rendre publique son œuvre, c'est elle qui donnera naissance aux prérogatives patrimoniales de l'auteur (à noter qu'avant divulgation de l'œuvre, celle-ci n'est pas encore « dans le commerce » et sa protection est assurée par le seul droit moral) dès lors que la création est aussi originale.
Remarque : Un dépôt obligatoire?
Par principe, il n'est pas nécessaire de déposer son œuvre pour bénéficier du monopole que confère la loi.
En revanche, un tel dépôt facilitera la preuve de la création (et de son antériorité) si quelqu'un met en doute cette paternité. Cela d'autant plus que la preuve est libre : tout moyen pouvant être accueilli et apprécié par le juge. Il est par exemple tout à fait possible de s'envoyer un colis scellé en recommandé avec accusé de réception (le cachet de la poste attestant d'une date donnée) ou de s'adjoindre les services d'un tiers de confiance (de la qualité du tiers dépend celle du dépôt : il peut être utile d'utiliser le mécanisme des enveloppes Soleau auprès de l'Institut Nationale de la Propriété Industrielle (INPI) ou des dispositifs de dépôt comme l'Agence pour la Protection des Programmes (APP) dans le domaine informatique).
Enfin, de nombreux pays - dont la France - conditionnent à un dépôt légal préalable la publication de certains ouvrages, périodiques, etc. En France, ce dépôt légal concerne les écrits (livres et périodiques) et d'autres types d'œuvres (gravures, films, enregistrements sonores, émissions de radio et de télévision, logiciels, etc.).
À ce sujet, on peut se reporter à l'article détaillé de Wikipedia : « Dépôt légal en France ». Voir aussi Larivière (Jules), Principes directeurs pour l'élaboration d'une législation sur le dépôt légal, édition révisée, augmentée et mise à jour de l'étude publiée en 1981 par Lunn (Jean), Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 2000.
L'originalité dans l'expression
L'originalité de la création, requise par la loi pour que cette dernière soit qualifiée d'œuvre, n'est néanmoins pas définie expressément. C'est donc aux juges qu'échut le rôle de caractériser l'originalité, ce qu'ils firent au travers de la notion d'empreinte de la personnalité de l'auteur. Une définition qui rejoint la pensée de grands auteurs : que l'on songe à Émile Zola qui disait qu'« une œuvre d'art est un coin de création vu à travers un tempérament », ou à Gustave Flaubert qui affirmait « Madame Bovary, c'est moi ! »
Évitant toute considération artistique ou politique, la qualification sera reconnue quel que soit le message porté par l'œuvre, la protection concernant « toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ». Avec l'arrivée du logiciel, le critère de l'originalité fut par ailleurs revu à la baisse par les juges qui fixèrent le critère à la marque d'un apport intellectuel de la part de l'auteur, c'est-à-dire « un effort personnalisé dépassant la logique automatique et contraignante ».
Enfin, le titre de l'œuvre peut de même être protégé dès lors qu'il répond aussi à la condition d'originalité, notamment au regard de l'œuvre principale.
L'équilibre du droit d'auteur
La majorité des œuvres partagent des règles communes (1.1.2.1), néanmoins le droit d'auteur consacre quelques exceptions défavorables aux auteurs, notamment dans le domaine de la fonction publique ainsi que pour les logiciels (1.1.2.2).
L'équilibre du droit d'auteur « classique »
L'équilibre du droit d'auteur consacre le monopole de l'auteur (1.1.2.1.a), duquel sont soustraites les libertés de son public (1.1.2.1.b).
Le monopole de l'auteur
Celui qui revêt la qualité d'auteur bénéficie de diverses prérogatives ainsi que de certaines dispositions protectrices.
La qualité d'auteur(s)
Le droit d'auteur considère que l'auteur est l'individu-personne physique qui a créé l'œuvre : le code est très clair lorsqu'il pose comme principe que « [l]'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Il précise même que le statut de l'auteur (notamment salarié) est par principe sans conséquence.
En cas de doute, le système privilégie l'auteur puisqu'une présomption de titularité bénéficie à la personne physique (ou morale) qui divulgue l'œuvre. Mais celle-ci n'est cependant opposable qu'aux tiers, non aux auteurs ou coauteurs qui revendiqueraient leur paternité.
Enfin, plusieurs auteurs peuvent travailler ensemble pour la réalisation de l'œuvre (œuvre collective ou de collaboration) et l'œuvre peut être issue d'autres œuvres (œuvre composite ou dérivée). Il n'est d'ailleurs pas rare que l'œuvre finale combine plusieurs de ces situations (la création pouvant être dérivée d'une œuvre collective, elle-même qualifiée d'œuvre composite, etc.).
On parle d'œuvre de collaboration lorsque plusieurs personnes ont travaillé ensemble à la conception d'une œuvre commune en faisant toutes preuve d'originalité (elles sont alors propriétaires indivises de l'œuvre) et d'œuvre collective lorsqu'elle est créée à l'initiative et sous la direction d'une personne physique ou morale, et dont les contributions sont fusionnées et empêchent ainsi l'attribution de droits distincts (seul celui qui dirige l'œuvre est titulaire des droits). Cette qualification, souverainement réalisée par le juge, est généralement recherchée par les entreprises puisqu'elle est la seule à leur conférer la qualité d'auteur.
Requérant toutes deux l'autorisation de l'auteur de l'œuvre originaire, l'œuvre composite et l'œuvre dérivée sont soumises à un régime juridique identique recouvrant des situations similaires : on parle d'œuvre composite lorsqu'il y a incorporation sans modification d'une œuvre originaire (on peut aussi traduire ce rapport en une dépendance vis-à-vis d'une œuvre originaire, sans emporter pour autant modification de celle-ci) ; on parle d'œuvre dérivée lorsque l'auteur second crée une nouvelle œuvre en s'appuyant sur la première.