Rapports au monde
Exemple : En finir avec l'opposition entre humains et nature
L'Occident moderne possède en conséquence un héritage dualiste, une manière de penser le monde en termes binaires, opposés, exclusifs et hiérarchisés : les « humains » et la « nature ». [...] Comment alors dire qui nous sommes, pour repenser notre relation au monde ? Voici la carte d'identité que je propose : nous sommes des vivants parmi les vivants, façonnés et irrigués de vie chaque jour par les dynamiques du vivant. [...] Nous ne sommes plus une espèce solitaire confrontée au reste du monde empaqueté en « nature » : nous ne sommes plus face à face, mais côte à côte avec le reste du vivant, face au dérobement de notre monde commun. [...] il s'agit de retrouver confiance dans les puissances du vivant : ses puissances de régénération et de résilience, sa capacité à faire notre monde. Retrouver confiance dans le fait que nous ne sommes pas seuls à veiller à l'habitabilité de ce monde. [...] Le message secret des sciences écologiques tient à cet égard en une phrase : l'habitat de chaque vivant n'est jamais un décor inanimé, c'est le tissage des autres habitants. Il n'y a pas de monde physique sur lequel nous habitons : nous vivons dans la respiration des végétaux, dans la pollinisation des abeilles, comme les grenouilles asiatiques habitent dans les empreintes-mondes laissées par les éléphants.
Exemple : Une connaissance incarnée qui relie
L'un des grands enjeux d'une culture du vivant est ainsi, à mon sens, de mettre en lumière, et d'inventer des formes de connaissances qui relient. [...] Cette manière de connaître a été en réalité incroyablement mise en oeuvre au XIXe siècle, en Angleterre et aux États-Unis, par une lignée de femmes écrivaines et naturalistes. [...] Autodidactes, n'ayant pas le droit de cité dans l'académie, étudiant ainsi le vivant chaque jour depuis chez elles, dans les jardins ou les alentours, ces femmes ont inventé un style d'attention au vivant particulièrement singulier : un style d'attention non moderne, où la connaissance du vivant a pour ambition explicite de faire entrer en relation avec lui. [...] Ne pas connaître le nom des plantes autour de nous, c'est s'exposer à éprouver ce même sentiment de n'être pas à sa place, de ne pas appartenir, d'avoir le sentiment d'être seul alors même que l'on est entouré. L'origine du sentiment de solitude cosmique des Modernes n'est peut-être pas une lucidité métaphysique supérieure [...] : c'est simplement qu'on hérite d'une socialisation culturelle telle qu'on ne connaît personne à la fête du vivant.