Des corporations bureaucratiques aux GAFAM humanistes, la collaboration
Définition : Collaboration
Politique de coopération active avec un occupant ennemi.
Exemple : IBM et le régime nazi
En 1940, IBM vend des tabulatrices au régime nazi, qui serviront notamment au recensement des Juifs. En échange, IBM obtient un monopole sur le marché national.
L'ensemble des camps de concentrations sont équipés d'une tabulatrice Hollerith.
Sans les machines d'IBM, leur entretien et leur maintenance continus, ainsi que la fourniture de cartes perforées, qu'elles soient situées sur place ou à l'extérieur, les camps d'Hitler n'auraient jamais pu atteindre les chiffres qu'ils ont atteints.
Black, 2002[1] (p. 352)
Exemple : Siemens et le régime nazi
Siemens, largement impliqué dans la surveillance aujourd'hui. Dès 1934, Siemens fournit des Télex, qui serviront notamment aux organes de répression allemande à transmettre les ordres d'arrestations des opposants aux nazis puis les ordres de déportations des populations juives et des résistants dans l'Europe occupée par les forces nazies, entre 1939 et 1945.
Siemens opère une usine au sein du camp d'Auschwitz et exploite le travail forcé des prisonniers de guerre français fournis par le gouvernement de Vichy aux nazis ( Arendt, 2006[2] (p. 79), Guilpin, 2012[3]).
Exemple : Siemens-Nokia et les régimes autoritaires
En 2008, le joint-venture développe MegaEyes pour China Telecom, un réseau de caméras interconnectées pour les JO de Beijing, qui restera fonctionnel après coup ( Samatas, 2013[5]). La même année, il fournit une solution d'interception et d'analyse appronfondie de l'ensemble du trafic Internet au régime iranien.
L'équipement permet à l'État de procéder à une inspection approfondie des paquets, c'est-à-dire de passer au crible les données qui circulent sur un réseau à la recherche de mots-clés dans le contenu des courriers électroniques et des transmissions vocales. [...] Une brochure vantant les mérites de l'équipement vendu à l'Iran indique que la technologie permet « la surveillance et l'interception de tous les types de communications vocales et de données sur tous les réseaux ».
Exemple : Amazon et la police américaine
Ring, une filiale d'Amazon, produit des visiophones connectés. Sentant l'intérêt policier pour ces images, Amazon a noué un partenariat facilitant l'accès aux visiophones des particuliers.
Ring a fait don de 15 caméras de surveillance avec sonnette au service de police de Lakeland et a créé un programme pour encourager les gens à télécharger son application de « surveillance de quartier », Neighbors. Pour chaque habitant de Lakeland qui télécharge Neighbors à la suite du partenariat, les documents montrent que le service de police de Lakeland reçoit un crédit pour l'achat d'autres caméras Ring gratuites pour les habitants : « Chaque téléchargement admissible comptera pour 10 dollars en vue de l'obtention de ces caméras Ring gratuites ». Une caméra sonnette Ring coûte actuellement 130 dollars sur Amazon.

Exemple : Les databrokers en roue libre
Depuis la criminalisation de l'avortement dans certains États des États-Unis, les databrokers proposent des listes spécialisées à destination des autorités.
NOTUS, ainsi que des journalistes du New York Times, de 404 Media, de Haaretz et le journaliste indépendant Brian Krebs, spécialiste de la cybersécurité, ont eu accès à près de deux heures d'images d'Atlas Privacy utilisant l'outil de localisation de Babel Street, Locate X. Notre enquête a révélé que ces données très détaillées sont vendues sur un marché non réglementé. Les personnes qui y ont accès et l'usage qu'elles en font ne font l'objet que de peu de vérifications, voire d'aucune. Associée à des plateformes de recherche de personnes, la possibilité d'exploiter librement des données de ce type peut poser de sérieux problèmes de protection de la vie privée.
Atlas a utilisé Locate X pour rechercher des téléphones dans des lieux tels que des cliniques d'avortement, des palais de justice et les domiciles d'agents des forces de l'ordre et de procureurs. Les chercheurs d'Atlas ont également confirmé que ces données étaient disponibles au niveau international, en effectuant des recherches en Israël et en Allemagne à titre d'essai.
Par exemple, une société - Exact Data - propose plusieurs listes « prêtes à l'emploi » telles que « Abortion Clinic Mailing List », « Pregnant Women », « Baby's on the Way - Expectant Parents », « New Parents », « New Parents - Young and Wealthy 18-25 », et « Expectant Parents by State » (en date du 12 août 2022).
Exemple : Google s'essaye au totalitarisme du PCC
Le moteur de recherche Dragonfly aurait été conçu pour relier les numéros de téléphone des utilisateurs à leurs requêtes de recherche et pour censurer des sites web tels que Wikipedia et ceux qui publient des informations sur la liberté d'expression, les droits de l'homme, la démocratie, la religion et d'autres questions considérées comme sensibles par le gouvernement chinois. Il n'est pas conçu pour avertir les chercheurs que les informations qu'ils recherchent ont été censurées.
Le projet est finalement abandonné après une médiatisation et un backlash d'une ampleur rare.
Exemple : Nokia et la surveillance russe
Des documents de projet signés par le personnel de Nokia montraient comment les données et le trafic téléphonique devaient transiter par le SORM [« système pour activité d'enquête opératoire », permettant d'écouter toutes les communications télécom] vers Moscou et les bureaux locaux du FSB [Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie] dans toute la Russie.
Le SORM est utilisé par le FSB pour écouter les appels téléphoniques, intercepter les messages textuels et électroniques et suivre les communications sur Internet. Il est utilisé pour aider à retrouver des dissidents et est lié à l'assassinat de détracteurs du Kremlin.
Exemple : Google et Amazon fournissent du Cloud à l'armée israélienne
À travers un contrat de plus d'un milliard de dollars, Google et Amazon fournissent :
Des data-centers construits en Israël ;
Des services opérés dans ces data-centers, en particulier du machine learning.
Les détails sont secrets, au point que les personnes impliquées dans la mise en place ne connaissent pas les finalités.
Grâce à des fuites, on sait que le gouvernement israélien aura accès à des outils de traitement d'image par IA.
Les outils d'IA de Google Cloud Platform pourraient donner à l'armée israélienne et aux services de sécurité la capacité de détecter les visages, de catégoriser automatiquement les images, de suivre les objets et d'analyser les sentiments - des outils qui ont déjà été utilisés par le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis pour la surveillance des frontières.
Le contrat comporte de nombreuses clauses commerciales pour contrer les contestations. En particulier, Google et Amazon sont tenus de continuer à opérer les services, même en cas de boycott ou de pressions fortes.
Un mail fuité de Edward du Boulay, un avocat de Google, confirme que le rapport de force est du côté israélien.
Du Boulay a indiqué que « si Google remporte le concours, nous devrons accepter un contrat non négociable dans des conditions favorables au gouvernement » et que « compte tenu de la valeur et de la nature stratégique de ce projet, il comporte des risques potentiels et des bénéfices importants si nous le remportons ». Parmi les préoccupations de Du Boulay figure le fait que le « gouvernement israélien a le droit unilatéral d'imposer des modifications au contrat », a averti l'avocat. Il a ajouté qu'en cas d'obtention du contrat, Google n'aurait « pratiquement aucune possibilité de poursuivre [Israël] en justice pour des dommages » résultant de « violations ».
Plus de 50 employés qui protestent contre le projet ont été licenciés, 9 personnes ont été en garde à vue. Avant les licenciements, le CEO actuel, Sundar Pichai, a indiqué dans un mémo interne rendu public :
Nous avons une culture de discussion ouverte et dynamique qui nous permet de créer des produits incroyables et de concrétiser de grandes idées. Il est important de préserver cela. Mais en fin de compte, nous sommes un lieu de travail et nos politiques et attentes sont claires : il s'agit d'une entreprise, et non d'un endroit où agir de manière à perturber les collègues ou à les faire se sentir en danger, où tenter d'utiliser l'entreprise comme une plateforme personnelle, ou encore où se battre sur des questions perturbatrices ou débattre de politique. En tant qu'entreprise, ce moment est trop important pour que nous nous laissions distraire.
Nous avons le devoir d'être un fournisseur d'informations objectif et digne de confiance, au service de tous nos utilisateurs dans le monde. Lorsque nous venons travailler, notre objectif est d'organiser l'information mondiale et de la rendre universellement accessible et utile. Cet objectif prime sur tout le reste et j'attends de nous que nous agissions en conséquence.
Sundar, 2024[16], je souligne.
Fondamental : Image publique, affaires privées
Le vernis progressiste et humaniste des GAFAM ne correspond pas à la réalité.
La répression transnationale à l'ère numérique résulte souvent de l'interaction entre les entreprises technologiques, les gouvernements et les mouvements sociaux. Ces entités forment les « chaînes d'approvisionnement » de la répression numérique, où des entreprises privées vendent des produits à des États qui les utilisent ensuite à des fins répressives. Les cabinets de conseil politique, les gouvernements et les sociétés de relations publiques utilisent la technologie numérique pour effectuer de la surveillance et du harcèlement ou pour diffuser de la désinformation et de la propagande.
La propagande politique des régimes autoritaires sur les réseaux sociaux, instrument essentiel de leur maintien au pouvoir, est favorisée par les politiques de modération des réseaux sociaux.
D'après l'expérience de Sophie Zhang [une data-scientist licenciée de Facebook], la répression numérique n'était vraiment une préoccupation que lorsqu'elle émanait des ennemis des États-Unis et non de leurs alliés. À l'inverse, les entreprises de médias sociaux peuvent faciliter la répression lorsqu'il s'agit de pays que les États-Unis considèrent comme des alliés stratégiques, tels qu'Israël. Les algorithmes de curation de Facebook, par exemple, ont supprimé les contenus favorables à la Palestine, réduisant ainsi l'exposition des Palestiniens en ligne.
Fondamental : La collaboration est systémique
Les GAFAM s'inscrivent dans un système capitaliste qui cherche à maximiser ses profits ; en ce sens, la collaboration est quasiment intrinsèque à leur fonctionnement, tant qu'elle rapporte davantage qu'elle ne coûte.
Les régimes autoritaires du monde entier et les grandes entreprises américaines convergent dans la répression transnationale en combinant le contrôle des contenus, la surveillance et la collecte de données. Motivées par les profits, les plateformes Big Tech modèrent souvent le contenu de manière sélective, amplifiant certains récits tout en en supprimant d'autres en fonction des intérêts des entreprises ou des alignements géopolitiques.
Remarque : Aux racines du capitalisme de surveillance
Les États, les industriels et les GAFAM sont dans une relation symbiotique qui s'inscrit pleinement dans la doctrine capitalisme et néolibérale. Il est essentiel de dépasser l'analyse qui se limite à la surveillance commerciale. Cette symbiose porte le nom de capitalisme de surveillance.