L'héritage contre-culturel des GAFAM : un humanisme de droite ?

DéfinitionHumanisme

Théorie, doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs.

Le Robert

FondamentalContre-culture hippie et Silicon Valley

Notamment dans l'imaginaire collectif, au moins jusqu'à l'élection de Trump en 2025, la Silicon Valley est auréolée d'un idéal contre-culturel hérité des années 60.

Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Apple, Google, Facebook, Tesla : depuis des années, ces noms évoquent à eux seuls des visions de richesse extraordinaire, d'opportunités égalitaires et d'accès universel aux produits des industries américaines les plus avant-gardistes.

Meehan et Turner, 2021[1] (p. 1)

Cet héritage est loin d'être hypocrite, dans la mesure où Internet a été effectivement influencée par les idéeaux contre-culture américaine.

Pour beaucoup, ces technologies semblent encore promettre ce que les lumières stroboscopiques et le LSD du festival Trips offraient autrefois aux hippies du Haight : l'accès à une vision des modèles qui sous-tendent le monde et, grâce à cette vision, un moyen d'y associer sa vie et d'entrer dans une communauté d'esprit globale et harmonieuse. Au fur et à mesure que les technologies de l'information et le mode de production en réseau se sont répandus dans le paysage, ils ont été célébrés comme des lieux de salut personnel et collectif.

Turner, 2006[2] (p. 317)

ExempleUn héritage revendiqué : Burning Man et Googlers

[À Burning Man, les participants] installent des dômes géodésiques et des villages de tentes, mettent en place des stations de radio pirates et des réseaux informatiques et construisent d'immenses pistes de danse provisoires. Ils tiennent des conférences, organisent des fêtes, et traversent le désert dans ce qui ressemble à un système de transport en commun : quelque 500 objets d'art customisés servant de véhicules, ressemblant à tout et n'importe quoi, allant de champignons velus à des dragons cracheurs de feu.

Turner, 2020[3] (p. 42-43)

[Le Burning Man] se veut un monde anti-consumériste, dans lequel les individus se retirent de l'économie monétaire et se consacrent plutôt aux interactions, à la participation et au don de performances, d'objets et de biens, aidant ainsi à renforcer les liens communautaires.

Turner, 2020[3] (p. 48-49)

Shelter from the elements - Burning Man 2009Informations[4]

En 1999, les fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin, ont orné la page d'accueil de Google du logo du Burning Man pour indiquer qu'ils s'y rendaient ; ils y sont retournés régulièrement par la suite. En 2001, ils ont engagé Éric Schmidt comme P.-D.G. de Google entre autres parce qu'il allait lui aussi à Burning Man.

Turner, 2020[3] (p. 26)

RemarquePsychédéliques et Far-West numérique

La culture technologique des débuts était libérale en ce qui concerne les drogues psychédéliques, et de nombreux pionniers de l'informatique étaient orientés vers la spiritualité, tant par leur intérêt pour le mysticisme oriental que par l'utilisation du LSD ( Turner, 2006[2]). La marijuana, le peyotl et le LSD offraient la possibilité de vivre une expérience de convivialité dans laquelle la technologie électronique jouait un rôle important. La technologie, associée aux psychédéliques, a permis aux premiers pionniers de s'imaginer qu'ils faisaient partie d'une communauté mystique, dévoilant les liens fondamentaux entre tous les êtres vivants et les énergies autrement invisibles qui reliaient et gouvernaient le monde matériel.

Svensson, 2021[5] (p. 42)

FondamentalLa culture hippie sans l'humanisme

De la culture hippie, il ne reste qu'un certain individualisme ancré dans la critique de la bureaucratie, la croyance dans le changement à partir de petites échelles (en écho à la cybernétique) et les possibilités d'émancipation à travers la technologie des ordinateurs personnels (à l'opposé des mainframes d'IBM).

L'idéologie californienne englobe les visions de la gauche et de la droite et est donc un hybride entre les valeurs progressistes et le « capitalisme de l'innovation », reliés par la croyance que la technologie peut induire le changement. Chandra (2013 : 64) utilise d'ailleurs l'expression « capitalistes hippies ». Les idéaux du marché libre et l'anti-étatisme général sont généralement attribués à l'aile droite de la politique. Toutefois, l'anti-étatisme trouve également un écho dans la contre-culture des années 1960, les hippies réagissant contre les autorités oppressives de l'État.

Svensson, 2021[5] (p. 60)

Mai 68 des libertariens : des « hippies de droite » contre la politiqueInformations[6]

L’esprit des années 1960 qui souffle sur les campus américains et prépare la révolution des droits n’a pas seulement agité l’extrême gauche. Il a poussé à l’invention de l’anarcho-capitalisme, cette alliance théorique révolutionnaire entre individualisme philosophique et rejet de toute forme d’intervention étatique. L’anarcho-capitalisme se pense à l’aune du principe de non-agression : sont légitimes toutes les interactions entre adultes consentants ; sont illégitimes toutes les atteintes à la propriété d’un tiers non consentant.

Frédéric Mas, Contrepoints

AttentionEn pleine confusion idéologique ?

Bien qu'édulcoré en 2015, le code de conduite de Google (à destination des investisseurs) se revendique pourtant très clairement d'un humanisme sur le long terme.

Notre objectif est de développer des services qui améliorent de manière significative la vie du plus grand nombre. Dans la poursuite de cet objectif, nous pouvons faire des choses dont nous pensons qu'elles ont un impact positif sur le monde, même si les retours financiers à court terme ne sont pas évidents.

Don't be evil. Nous sommes convaincus qu'à long terme, nous serons mieux servis - en tant qu'actionnaires et à tous autres égards - par une entreprise qui fait le bien dans le monde, même si nous renonçons à certains gains à court terme. Il s'agit là d'un aspect important de notre culture, largement partagé au sein de l'entreprise.

Google Form S-1, 2004[7]